Reseña/Review
Lola Querol
Massimo Scandola, La madre assira. Il mito di Semiramide nella letteratura, Padova:
Il Poligrafo, 2021, 203 páginas. [ISBN 978-88-9387-176-I]
Fecha de recepción: 13 de septiembre de 2022
Fecha de aceptación: 25 de noviembre de 2022
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ne attention
particulière a été portée aux figures féminines de pouvoir de l’Antiquité ces
dernières années, dans les monographies d’histoire et on note également un
intérêt croissant pour des initiatives qui traitent des femmes mais aussi de la
réception de l’Antiquité dans des périodes historiques plus récentes, dans une
dialectique entre rhétorique et historiographie. C’est dans ce contexte que
nous pouvons inscrire l’étude récente de M. Scandola
(ci-après M. S.), La madre
assira. Il mito di Semiramide
nella letteratura, qui,
en présentant le mythe de Sémiramis dans la littérature, permet de réfléchir à
l’histoire du genre dans une perspective diachronique.
Docteur en « Histoire et
archéologie du Moyen Age. Institutions et archives » et enseignant à l’Université
de Tours en « Langue, littérature et civilisation italiennes », les
thèmes de recherches de M. S. se développent autour des civilisations et
littératures des pays italophones et particulièrement l’étude de l’italianisme
en France, sur la côte adriatique orientale, dans les Balkans, au Settecento, ainsi
que les écrits de femmes et les écrivains secondaires de la littérature
italienne du Sei
et Settecento.
En prenant en compte l’ouvrage sur
Sémiramis, on observe que dès l’introduction (p. 11-21), M. S. évoque l’ample
réception et ainsi la multiplicité de la figure de la reine assyrienne, tout en
qualifiant le récit de confus, une confusion qui sert notre discours car elle
est le résultat d’assimilations d’éléments biographiques appartenant à d’autres
reines vaincues du monde antique.
Voulant interpréter les réécritures du
récit de Sémiramis selon les études récentes sur les relations entre
littérature, mythologie comparée et genre dans le monde moderne, M. S. souligne
que l’univers symbolique, invoqué dans la légende, change en fonction des
formes littéraires prises par le récit. En présentant un Status quaestionis des études sur le mythe, à
partir des années 1800, il met en évidence, de manière explicite, l’existence
de divers archétypes, celui de la royauté, de l’échange qui permet d’éviter
l’inceste et du mariage ainsi que l’idée du corps biologique de la femme. Son
analyse se propose ainsi de parcourir aussi l’évolution de ce mythe autour de
la fracture entre le corps biologique et le corps politique, mêlant alors
l’histoire au féminin, à travers le corps de la reine et l’histoire au
masculin, avec la fonction royale. La légende, par le biais de ces réécritures,
posséderait alors trois plans différents : un premier,
personnel-biologique (corporéité de la souveraine), un second orienté sur
l’horizon législatif avec le respect des formes de parentèle et des lois et la
confrontation entre modèle patriarcal versus
matriarcal, et un dernier de perspective relationnelle où sont mises en
évidence les relations de la reine avec les autres personnages du récit.
L’ouvrage organisé en trois parties
entend dans un premier temps (I : p. 23-69) analyser la figure de la reine
sous ses multiples facettes de femmes, en étudiant la construction du récit à
travers ces diverses récritures de l’Antiquité à la Renaissance, passant de la
réception classique à celle chrétienne, de Boccaccio
à Christine de Pizan et Chaucer, aux arts figuratifs
du Quattrocento et du Cinquecento pour
finir sur le processus humaniste de « curialisation » de la femme
guerrière.
C’est avec la seconde partie (II :
p. 72-118) que M. S. étudie le personnage sous d’autres aspects, ceux de la
perversité, du travestissement, de la purification, de la beauté et du
tragique. Sémiramis est alors examinée dans les traités italiens de la fin de
la Renaissance avec un regard particulier sur la « mala
opinione » et sur l’imaginaire négatif de la
souveraineté féminine mais aussi en tant que personnage tragique dans les
tragédies de la Renaissance où l’image de la monstruosité de la femme est mise
en évidence. Le spécialiste parcourt ainsi les auteurs tragiques du début du Seicento, passant
par Cristobal de Virués et la version « boscareccia » de 1593, de Muzio
Manfredi, pour finir sur une comparaison avec les
reines Gloriana et Lady Macbeth.
La dernière partie (III : p.
119-171) relate, quant à elle, la figure de la reine dans les mélodrames et
dans la tragédie, une figure ambivalente où se mêlent la reconnaissance en tant
que reine et la punition de l’ambition. Le modèle de la souveraine qui règne à
la place de son fils permet d’évoquer le parallèle avec Anne d’Autriche et de
s’arrêter sur deux œuvres de 1647 ayant pour sujet Sémiramis, celles de Gabriel
Gilbert et de Nicolas-Marc Desfontaines. L’auteur analyse également les
premiers livrets d’opéra italiens et aborde les mélodrames viennois de Zeno et Metastasio où Sémiramis se pose en métaphore de la mère
absente, pour se concentrer ensuite sur les corps politiques et les
représentations artistiques entre Seicento et Settecento. Le discours se déplace alors vers l’horizon
français avec les tragédies galantes de Madeleine Poisson de Gomez (1716) et de
Prosper de Crébillon (1717) avant d’évoquer pour finir la Sémiramis de
Voltaire, de 1748. L’épilogue (p. 173-185) clôt alors l’ouvrage, sur la mort de
Sémiramis et ses réécritures italiennes et européennes, à la veille de la
Révolution.
Parmi les indications significatives
contenues dans cet ouvrage et voulant suivre une perspective d’historiographie
antique, nous signalons la partie sur les sources du monde antique (p. 23-37)
qui va nous permettre de revenir aux différentes caractérisations du personnage
et plus particulièrement celles des auteurs romains, sous le regard de la
thématique du genre et le rapport entre rhétorique et historiographie. Bien que
le mythe soit essentiellement l’histoire d’une femme, il est nécessaire de
prendre en compte les voix narratives, comme le souligne l’auteur, car ce mythe
est raconté par d’autres voix, différentes de celle de la protagoniste et
principalement masculines.
Les premières sources romaines citées
par M. S. sont des extraits des Œuvres
morales de Plutarque. L’auteur souligne que c’est une synthèse de
toutes les traditions précédentes où Sémiramis est tantôt perçue comme une
servante et concubine, tantôt mise en parallèle avec Alexandre, le roi juste,
mais aussi décrite comme une souveraine sage qui craint les dieux comme Plutarque
le précise, en rapportant l’épitaphe de la reine.
En relisant certains passages de ces
extraits, nous notons que dans le premier traité (De l’amour, 9),
Plutarque met en parallèle l’amour homosexuel et l’amour conjugal et relève, à
travers Protogène, une image plutôt négative de la reine assyrienne. Elle est
présentée tel un personnage perfide et calculateur qui usa de ses charmes pour
prendre le pouvoir et s’en emparer. Dans le second (Sur la fortune d’Alexandre,
2, 3), c’est l’importance de l’esprit et de la vertu qui est mise en évidence,
avec le développement d’un parallèle homme/femme à travers les personnages de
Sémiramis et de Sardanapale. Dans cette exposition, les rôles sont inversés et
Plutarque souligne ce paradoxe dans une dialectique où la femme est exaltée car
elle est du côté de l’action et où l’homme est critiqué car il est du côté de
l’inaction.
Dans le troisième extrait (Apophtegmes
des rois et des capitaines célèbres, 173), Plutarque présente des rois et
des capitaines célèbres dans un traité dédié à Trajan, en soulignant qu’il
offre ce recueil de faits mémorables car ce présent de peu de valeur aurait une
signification inestimable, se résumant au témoignage de son propre zèle.
L’intérêt est de faire connaître le caractère et les mœurs des grands hommes et
de souligner l’importance des paroles de ces hommes pour percevoir les
dispositions de leurs âmes. Il commence tout d’abord par les rois de Perse et
d’autres nations étrangères en présentant les gestes de différents rois, Cyrus,
Darius, Xerxès, Artaxerxés, Cyrus le jeune et Artaxerxés-Memnon. Au milieu de
cette liste, une femme se démarque, Sémiramis, comme la seule reine parmi les souverains.
Alors que pour les rois se développe un récit de leurs actions, le discours sur
la reine est bien différent car elle est rappelée à travers la construction de
son tombeau où sa sagesse est mise en opposition à l’avarice et à la perverse
action de troubler les morts, défauts que possède Darius.
Laissant de côté Plutarque, nous
signalons les observations que M. S. fait à propos de deux témoignages, celui
de Pline le Jeune et celui de Valère Maxime. La légende extraite de Diodore se
serait transformée en un récit sur Sémiramis où prédomineraient des
caractéristiques moralisantes, dans l’intérêt de mettre en évidence les
coutumes exotiques et étrangères de la reine assyrienne. Pline l’Ancien, par
exemple, dans son Histoire naturelle
(8, 64), comme le souligne M. S., rapporte une anecdote sur de prétendus
rapports sexuels de la reine avec un cheval qu’elle aimait considérablement.
L’auteur antique offre ainsi une image négative de Sémiramis et l’on assiste à
la description d’un « exotisme » poussé à son paroxysme. En
revanche, par rapport aux Des faits et
des paroles mémorables (9, 3) de Valère Maxime, M. S. fait un constat
différent même s’il avait au départ mis cette source au même rang que celle de
Pline le Jeune. En effet, le spécialiste souligne que Sémiramis, dans le récit
de l’auteur antique, est séparée de son identité privée et que la manipulation
de son corps, à travers l’érection d’une statue, présente aux yeux du public
une figure de royauté qui efface toute distinction entre masculinité et
féminité et qui fait ainsi disparaître tout système binaire, pour créer une
sorte de troisième voie. Voulant approfondir cette analyse, nous soulignons que
Valère Maxime présente différents exemples, des exemples romains mais aussi
étrangers et que son intérêt est de réunir les exemples les plus remarquables
même s’ils sont obscurs et également de parler des plus grands hommes pour leur
reprocher leurs vices. Nous précisons l'auteur opère ici que le thème de ce
neuvième livre est la colère et la haine et l’on peut remarquer que l’auteur,
par ailleurs, opère ici un parallèle entre un homme et une femme, Hannibal et
Sémiramis et entre la haine de Carthage pour Rome et la révolte de Babylone.
En définitif, même s’il n’a été
possible ici que de se concentrer sur quelques exemples significatifs, nous
pouvons dire que nous sommes face à une recherche exhaustive et rigoureuse qui
présente de manière complète la figure féminine de Sémiramis dans la littérature
grâce à une approche diachronique qui part de l’Antiquité, pour finir à la
veille de la Révolution française. Il s’agit ainsi d’une œuvre qui expose au
lecteur, de manière explicite, la réception du personnage féminin antique de
Sémiramis dans la littérature de différentes époques et qui exhorte ce même
lecteur à ne pas sous-estimer les témoignages de l’historiographie ancienne.
Lola
Querol
PhD Scienze Storiche
Università di Firenze
Université de Grenoble