LA CONSTRUCTION DE LA GESTE COLOMBIENNE SOUS LA PLUME D’ANTONIO DE HERRERA: REFLEXIONS SUR LES DEUX DERNIERS VOYAGES DE CHRISTOPHE COLOMB

 

 

 

THE CONSTRUCTION OF THE COLUMBIAN FEATS ACCORDING TO ANTONIO DE HERRERA Y TORDESILLAS: REFLECTIONS ON CHRISTOPHER COLUMBUS’ LAST TWO VOYAGES

 

 

Louise Bénat-Tachot

 

 

 

Resumen: El tercer viaje de Colón así como sus fantasiosas ideas cosmográficas fueron objeto de mofa (por López de Gómara en 1552, entre otros autores) mientras que la cuarta expedición desembocó en un desastre, según parecer de todos. Estas dos expediciones contrastan en todos los planos con los dos primeros viajes insulares y triunfantes que abren la gloriosa historia de los hechos ilustres de los castellanos en la historiografía americana. El destino sombrío de Cristóbal Colón invita a interrogar la manera como el cronista de los Heroicos Hechos de los castellanos reconstruye estas dos secuencias, así como la gesta colombina, un siglo después.

 

Abstract: Columbus’ third voyage and his fanciful cosmographic ideas were ridiculed (among others by López de Gómara in 1552), while the fourth expedition was deemed a disaster by everyone. These two expeditions stand in complete contrast to the first two insular triumphant voyages, which mark, in American historiography, the beginning of the glorious history of the great deeds of the Castilians. The darkness of Christopher Columbus’ fate calls into question how the chronicler of the Great Deeds of the Castilians reconstructed these two episodes and the Columbian feats a century later.

 

 

Palabras clave: Antonio de Herrera y Tordesillas, Cristóbal Colón, geografía, Paraíso Terrenal, reputación.
Keywords: Antonio de Herrera y Tordesillas, Christopher Columbus, geography, earthly paradise, reputation.


Fecha de recepción: 6 de octubre de 2024

Fecha de aceptación: 3 de diciembre de 2024

 

 

 

 

L

e troisième voyage de découverte fut très court (juillet et août 1498), abordant le golfe de Paria Colomb affirme s’approcher du Paradis Terrestre et pour étayer sa démonstration, énonce l’idée cosmographique fantasque selon laquelle la forme de la terre serait celle d’une poire. On sait que, de retour à Saint-Domingue, il est renvoyé en Espagne, les fers aux pieds sur ordre du redoutable Francisco de Bobadilla. Quant au quatrième voyage de découverte le long de la côte centraméricaine orientale (qui est aussi le plus long : il part en mai 1502 et revient à Sanlucar en novembre 1504 soit deux années et demie), il est considéré comme absolument stérile, une forme de débâcle, faite d’échecs, d’obstacles et de désillusions. Consuelo Varela dit clairement que ce fut «el viaje más desastroso e inútil de cuantos efectuó el Almirante de la Mar Océano».[1] En effet ; il «rate tous ses objectifs» : il frôle le Yucatán sans comprendre l’intérêt de la belle embarcation d’un riche marchand maya croisé au nord du Honduras ; il rate l’isthme panaméen de si grande importance pour la suite, il perd la totalité de sa flotte, revient en Castille avec moins de la moitié de son équipage (mais certains sont restés aux Antilles) et enfin une fois en Espagne, criblé de dettes, plein d’amertume et de désillusions, il apprend la mort de son plus précieux soutien, Isabelle la Catholique et ne trouve pas d’écoute auprès du roi Ferdinand. Ces deux voyages ont cependant un point commun, Colomb aborde sur le continent américain (côte de l’actuel Venezuela et la côte orientale de l’Amérique centrale).

C’est la noirceur du destin du découvreur qui m’invite à relire la façon dont Antonio de Herrera,[2] premier grand chroniqueur officiel de la couronne reconstruit cette partie de la geste colombienne, deux séquences où Colomb a particulièrement souffert fatigas y trabajos») tant sur le plan physique (il meurt en 1506 un an et demi après le retour de son 4e voyage, usé, malade et presque aveugle) que sur le plan des obstacles naturels. Les sources n’évoquent que tempêtes, ouragans (1e description d’une tornade, «una manga»), canicule, qui, avec l’insidieuse action de la «broma»,[3] conduisent à la destruction de tous les navires. Sans compter avec sa disgrâce politique : la réduction lente mais implacable et sans doute irrésistible de ses privilèges par Ferdinand le Catholique, obstacles portés le plus souvent au discrédit de l’Amiral.

De quelle façon le chroniqueur officiel de la monarchie catholique en ces premières années du XVIIe siècle, donc plus de soixante ans plus tard, va-t-il reconstruire ce double récit qui a déjà fait couler beaucoup d’encre ? Herrera dispose des nombreuses chroniques à commencer – pour ne citer que les plus connues – par les textes du découvreur (retranscrits en grande partie par las Casas dans la Historia de las Indias) les Décadas del Nuevo Mundo de Pierre Martyr, la Historia de las Indias de Fernández de Oviedo et celle de López de Gómara, ainsi que la Historia del Almirante rédigée par son fils Hernando Colomb.[4] Il dispose aussi de tous les rapports (informes) émis par Colomb lui-même, par les Rois, par les compagnons de Colomb, par ses ennemis, donc toute une documentation officielle sans compter avec l’abondante littérature des procès Colomb. Tous ces récits par leurs contradictions illustrent que rédiger une version officielle et dans un souci de concordisme de la geste colombienne dans son entier n’était pas une mince affaire.

Considéré par les uns comme le fossoyeur des autres chroniqueurs,[5] par les autres un historien pro patria et en butte à ses contradicteurs, Herrera affirme avec vigueur énoncer la «vérité» («con que fuese siempre salvar la verdad») en toute liberté.[6] Voyons ce qu’il en est.

Cronista mayor de las Indias (charge créée en 1571), Herrera surtout pour cette première partie des Décades va utiliser comme source majeure (et pour certains chapitres presque exclusive) la Historia de las Indias de Bartolomé de Las Casas. Comment faire autrement ? On sait que le dominicain recopie les textes du journal de Colomb en les aménageant et parfois en les commentant. Herrera a accès aux manuscrits de la Historia de las Indias. Las Casas les avait déposés en 1559 au collège San Gregorio de Valladolid et ils furent remis au Conseil des Indes en 1571 et laissés à disposition de Herrera à partir de 1597 « para efecto de escribir la historia de las Indias que por mandato de su Majestad y consejo se le encargó ».[7] C’était là une source massive particulièrement bien documentée. Certains historiens éditorialistes de Herrera ont bien noté cette filiation mais sans en faire aucun commentaire (édition de Cuesta Domingo, et celle de la Real Academia de la Historia de Ballesteros y Altolaguirre).[8] Ailleurs Las Casas et Herrera après lui suivent volontiers le texte d’Hernando Colomb dont le manuscrit est perdu mais que Luis Colomb troisième Almirante de las Indias et neveu d’Hernando Colomb a cédé à Baliano de Fornari. Ce texte fut édité en italien en 1571.[9]

De là à conclure que Herrera n’est qu’un plagiaire, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement Antonio Maria Fabié qui estime «No hace [Herrera] otra cosa que modificar su estilo [de Las Casas] en infinitos pasajes que copió».[10]

Cette filiation lascasienne ne laisse pourtant pas d’être problématique et fait naître un autre questionnement : comment Herrera, chroniqueur officiel en charge de la geste des Castillans (ce qui apparaît dans l’emphase de son titre «Los hechos de los castellanos»), va-t-il utiliser le texte de Las Casas, la voix la plus critique et la plus virulente à l’égard des conquérants ? Le professeur Saint Lu reconnaît : «il n’est pas banal qu’un historien officiel, au propos apologétique –nous dirions volontiers nationaliste– clairement affiché, ait tenu à l’utiliser comme principale source d’informations».[11] C’est d’autant plus surprenant qu’en 1598 Théodore de Bry sort des presses de Francfort un ouvrage qui crée en Europe un profond sentiment de malaise : Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastatarum verissima dans lequel il illustre la traduction en latin faite par Miggrode du texte de la Brevísisma relación de la destrucción de las Indias de Las Casas, texte qui devient une des pièces maîtresses de la construction de la légende noire.

Quelle est la place et quel est le profil de Colomb, l’Italien, le Génois, l’étranger dans l’histoire telle que la conçoit Herrera lorsqu’il utilise abondamment Las Casas et pas seulement pour Colomb mais aussi pour d’autres épisodes ? C’est plus précisément ce «nœud» Colomb/Las Casas /Herrera que je souhaite explorer sans prétendre épuiser la question en me centrant sur les deux derniers voyages, les plus problématiques.

En rapprochant le texte de Herrera de celui de Las Casas et d’Hernando Colomb, on voit se dessiner le façonnage d’un récit historique dont on peut déceler et les stratégies et les enjeux. Pour ajuster mon propos à cette contribution, j’ai distingué trois entrées, celles qui furent le plus «polémiques».

 

 

1. La question du paradis terrestre (3e voyage)

et les idées cosmographiques de Christophe Colomb

 

Cette navigation d’exploration dura deux mois (juillet-août) car Colomb décida très vite de revenir à Saint-Domingue. Il n’a plus de provisions (eau, bois, victuailles), lui-même souffre énormément des yeux et d’insomnie. Sans doute a-t-il aussi dans l’esprit de remonter une nouvelle expédition en direction du Golfo de las perlas et des îles de Cubagua et de Margarita dont il vient de toucher les côtes. Il a pu constater que les Indiens de la région portent des ornements de perles, parfois même incrustées dans les rames de leurs pirogues! Enfin, il souhaite venir au secours de son frère Bartolomé, resté dans l’île de La Hispaniola comme administrateur intérimaire et qui se trouve en difficulté, confronté à la sédition de Roldán.

Comme pour le premier voyage, on dispose de la copie du journal de bord faite par Las Casas et une lettre rédigée par l’Amiral une fois arrivé à Saint-Domingue en août 1498. C’est dans le golfe de Paria que Colomb prétend localiser le Paradis Terrestre. Comment expliquer une telle affirmation ? Après une navigation où l’équipage endura «un calor excesivo y desordenado», l’expédition parvient dans le golfe par l’entrée orientale (Boca de la Sierpe) au sud de l’île de Trinidad, ce qui constitua un soulagement pour tout l’équipage. On peut comprendre l’allégresse à bord nous dit Pierre Martyr.[12]  Le navigateur enregistre alors les premiers effets hydrauliques surprenants, inédits, connus aujourd’hui comme le mascaret c’est-à-dire une vague énorme qui se forme à la suite de la rencontre des eaux fluviales – le delta inferieur de l’Orénoque – avec plusieurs autres fleuves et le phénomène des marées.[13] La rencontre de l’eau douce avec l’eau salée de l’océan produit une accélération en particulier au niveau de la Boca de la Sierpe. Une énorme vague met alors son embarcation en péril. Il évoque ainsi ce phénomène :

 

[...] y en la noche , ya muy tarde, estando al bordo de la nao oí un rugir terrible que venía de la parte del austro hazia la nao, y me paré a mirar y vi levantado la mar de Poniente a Levante, en manera de una loma tan alta como la nao, y todavía venía hazia mi poco a poco, y ençima d’ella venía un filero de corriente, que venía rugiendo con muy grande estrépito, con aquella furia de aquel rugir […]que […] de los otros hileros que yo dixe que me pareçían ondas de mar que davan en peñas, que oy en día tengo el miedo en el cuerpo que no me trabucasen la nao cuando llegasen debaxo d’ella. Y passó y llegó fasta la boca adonde allí se detuvo grande espacio.[14]

 

Il s’agit donc là d’un spectacle à la fois effrayant et grandiose. Mais il y a plus. La terre est belle et le climat est très doux, en dépit de sa proximité avec la ligne équatoriale : «(...) hallé temperançia suavíssima, y las tierras y árboles muy verdes y tan hermosos como en Abril en las güertas de Valençia».[15] La nature qu’il observe est objet d’admiration, d’espoir de richesses et lieu de mystères naturels, tant sur le plan des eaux que sur le plan du ciel. En effet les constellations en particulier l’étoile polaire[16] et les gardiennes (la petite ourse), bien que toujours visibles car Colomb ne franchit pas la ligne équinoxiale, ont cependant changé d’orientation. La conjugaison de tous ces phénomènes conduit Colomb à déduire qu’il se trouve à proximité du Paradis Terrestre en général localisé «au bout de l’Orient». «Creo que allí es el paraíso Terrenal, adonde no puede llegar nadie salvo por voluntad divina».[17]

Dans une perspective géographique, l’image du Paradis Terrestre procédait du contexte méditerranéen et proche-oriental, de leurs paysages marqués par le désert et l’eau rare. Or la végétation luxuriante et l’abondance d’eau des Antilles découvertes lors du premier voyage coïncidait déjà parfaitement avec l’image du jardin d’Eden. Les habitants sont nus comme au temps de leur première innocence, avec de beaux corps (et non monstrueux ou difformes) et aucun n’avaient plus de trente ans, signe sans équivoque de la jeunesse éternelle.

Du coup, la présence du Paradis Terrestre est pressentie très tôt, Colomb le sollicite et baptise une vallée luxuriante «Valle del Paraiso». Il souligne la salubrité du climat (pas un seul de ses hommes ne souffre de maux ni de migraines) et dès le 1er voyage, il observe que les îles sont parfaitement tempérées par un éternel printemps comparable au printemps en Andalousie en sorte que cette nature pouvait bien se trouver à la fin de l’Orient là où les théologiens au Moyen Âge plaçaient le Paradis terrestre.[18] Ce pressentiment va se faire évidence puis certitude dans le troisième voyage : Colomb ne découvre pas le Paradis Terrestre mais il le localise et ce serait là l’illustration du dessein de Dieu à son endroit. Imbu de son rôle messianique, il est bien celui qui porte le Christ, un élu du Seigneur.

Tout concorde. Colomb distingue d’agréables jardins d’où s’exhalent de doux parfums, agités d’une brise suave et bruissant de chants d’oiseaux, il ne voit pas d’animaux sauvages (au Paradis Terrestre, tous les animaux sont pacifiques) et plus tard il rencontre des Indiens plus beaux, plus blancs et ornés de perles fines. Il y a donc une sorte d’ajustement nécessaire des données géographiques livrées par l’expérience et l’interprétation que Colomb en fait, dans le cadre de l’horizon d’attente du découvreur. Cette localisation est étroitement liée au syndrome asiatique de Colomb qui était intimement convaincu d’avoir atteint son but oriental dès le premier voyage. Le navigateur expérimenté se rend compte que l’aiguille de la boussole se comporte curieusement.[19] C’est ainsi que pour arriver à compenser ces variations, il imagine que la sphère terrestre présente à cet endroit un renflement, car, d’après lui, seule l’élévation pourrait expliquer le phénomène :

 

[...]E para esto allego todas las razones sobreescriptas de la raya que passa al Ocçidente de las islas de los Açores cient leguas de Septentrión en Austro, que en passando de allí al Poniente, ya van los barcos alçándose hazia el cielo suavemente, y entonces se goza de más suave temperançia y se muda el aguja de marear por causa de la suavidad d’esa cuarta de viento.[20]

 

Les effets de la température clémente à l’approche de l’équateur sont inexplicables sauf à penser qu’on s’élève.[21] La température de l’air est plus agréable, les indigènes ont la peau plus claire, le climat est plus tempéré, parce que cette région s’élève en pente douce vers le ciel ! Toutes les « preuves » sont réunies. Le grand fleuve et l’inclinaison de la surface de la Terre démontrent que l’on approche du lieu élevé où se trouve le Paradis. D’ailleurs, les trois montagnes aperçues sur l’île située près de la «Boca del Dragón» étaient un signe divin : l’île s’appela – et s’appelle toujours – Trinidad. Colomb est sûr de lui et il affirme par deux fois son intime conviction que c’est là que se trouve le Paradis terrestre.

Pierre Martyr d’Anghiera, commentant ces pages de Colomb au sixième livre de sa première Décade avoue sa perplexité : «basta ya de cosas que me parecen fabulosas»[22] dit-il au sujet du Paradis Terrrestre et des explications de Colomb sur la non sphéricité de la terre («fabulosa mihi videantur»)[23]. Il ajoute: «las razones que él da no me satisfacen del todo ni tampoco en parte». Ce n’est pas le cas de López de Gómara qui, narquois et radical, se moque de cette fausse opinion quand en 1552, il écrit :

 

Afirmaba eso mesmo que no era redondo el mundo como pelota, sino como pera, pues en todo aquel viaje había siempre navegado hacia arriba, y que Paria era el pezón del mundo, pues della no se veía el norte […]; que Paria esté más alta que España, ser no puede, pues en figura redonda no hay un punto más alto que otro revolviéndola. El mundo es redondísimo, luego igual, y así está nuestra España tan cerca del cielo como su Paria, aunque no tan debaxo el sol. De aquesta falsa opinión de Cristóbal Colón debió quedar creído entre hombres sin letras que iban de España a las Indias cuesta arriba y venían cuesta abaxo.[24]

 

Las Casas opte pour une stratégie très différente dans laquelle la doxographie chrétienne et Augustin en particulier vont jouer un rôle considérable.[25] Le dominicain, sur la base du journal de Colomb analyse de façon détaillée l’épisode du golfe de Paria pour construire un argumentaire qui déjoue le jugement sévère de son contemporain Gómara. Il vise à démontrer que la croyance de Christophe Colomb en la proximité du Paradis Terrestre n’est due ni à un manque de discernement ni à un manque de culture, mais qu’il s’agit d’une interprétation acceptable, même légitime. Il souligne tous les indices qui vont dans ce sens et ajoute que si les quatre fleuves censés jaillir du Paradis Terrestre (le Tigre, le Nil, l’Euphrate et le Gange) se trouvent très éloignés du golfe de Paria, leur cours a pu parcourir de vastes espaces de façon souterraine. C’était là un commentaire géographique en vigueur pour expliquer les grandes distances qui séparaient les quatre fleuves en dépit de leur origine paradisiaque ; cette opinion était donc fort répandue en particulier chez Augustin et reprise dans le De situ orbis de Pomponius Mela.

Hernando Colomb quant à lui (Vida del Almirante, 1571), soucieux de restaurer le prestige de son père, ne fait aucune allusion à cette interprétation. C’est qu’en effet le cosmographe est parfaitement conscient de l’abandon de toute tentative de localisation de l’Eden sur la carte et du discrédit qui pesait sur son père dont beaucoup se gaussent.[26]

 

Que fait Herrera avec cet encombrant épisode?

Pour la partie géographique, Herrera suit le texte de Las Casas et Hernando Colomb pour expliquer en particulier le phénomène hydraulique fluvial. Comme Las Casas il l’agrémente d’une série de données postérieures à titre explicatif: le mascaret s’explique par le déversement des eaux de l’Orénoque «tan gran corriente de la parte del Sur del río Yuyapari que quedaba al sur (que aun el almirante no había conocido)». Plus loin il explique la violence du phénomène par la saison : «especialmente en los meses de Julio y Agosto que era cuando por alli andaba el almirante».[27] On connaît mieux maintenant l’aspect saisonnier de la montée des eaux dans la région. Herrera répète en revanche à plusieurs reprises que Christophe Colomb ne sait pas s’il est «cerca de tierra firme» ou s’il foule une «tierra firme». La question de l’identification de la terre découverte (île ou continent et quel continent ?) prend sous sa plume une importance particulière. Le chroniqueur signale alors une ébauche du raisonnement de l’Almirante à ce sujet mais de façon très synthétique :

 

[…] ver si aquella gran abundancia de agua, procedía de ríos como los marineros afirmaban (lo que no creía) porque le parecía que ningún río del mundo podía llevar tanta agua, allende de que las tierras que veía no podían dar tanta agua, si ya no fuesen tierras firmes.[28]

 

Observation qu’il reprend plus loin: «vino en conocimiento que tierra tan grande no era isla sino tierra firme». Néanmoins, il rappelle: «Trinidad y tierra firme que creyó ser el cabo de Oriente».[29] Cette question de tierra firme n’est pas sans importance car d’elle dépend le titre de Colomb et de sa lignée. Herrera en créant un flottement sur cette question joue très subtilement. Il mêle une croyance «fausse» être aux confins de l’Asie («creía») à un raisonnement géographique (tant d’eau ne peut provenir d’une île). Autrement dit quand bien même Colomb pense être sur un continent, ce qui n’est pas assuré, il se trompe car il croit qu’il s’agit de la limite extrême de l’Asie. L’homme qui observe pense «juste» et l’homme qui croit pense «faux». Cette subtilité permet de ne pas remettre en cause la mutilation des titres de Colomb par la couronne.

Quant à la localisation du Paradis Terrestre, Herrera, sans reprendre exactement le raisonnement de Colomb ni l’argumentaire de Las Casas, en rend compte dans un long paragraphe (chapitre XII du troisième livre) sous le terme «opinión». L’utilisation de la source lascasienne se fait cependant avec certaines nuances. Herrera expose la question de la forme de la terre en termes differents: «imaginábalo como media pera, pezón alto como una teta de mujer, más propincua del aire y del cielo […] sobre aquel pezón le parecía que podía estar situado el Paraiso Terrenal puesto que de allí adonde estaba, estuviese muy lejos».[30] «Vino a dar en opinión que hacia aquella parte debía de estar el Paraíso terrenal».[31] Et de reprendre les raisons ou les indices d’une telle “opinión” en particulier l’énorme quantité d’eau douce : «la multitud y grandeza desta agua dulce […] se lo hacía imaginar: la cual el parecía que podía venir de la fuente del Paraiso terrenal y bajar a este golfo aunque viniese desde muy lejos y de este golfo nacer los cuatro ríos, Nilo Tigres Éufrates y Ganges o ir a ellos por sus cataratas, debajo de la tierra y de la mar también».[32] C’est donc avec une notable distance rhétorique mise en œuvre grâce aux nombreux verbes d’opinion («creía»/«imaginaba» /«opinión»/«parecía») qu’Herrera choisit d’évoquer ce qui, pour Colomb, relevait de la ferme conviction.[33] Grâce à une telle présentation des idées de Colomb, Herrera avec finesse, façonne cet épisode dans une perspective historique qui écarte tout jugement comminatoire. Colomb est un navigateur qui émet des réflexions disquisiciones») sur la base d’une expérience inédite, difficile à expliquer. Une sorte de méditation géographique. C’est ainsi qu’à titre de conclusion,[34] il reprend à son compte le commentaire du dominicain :

 

Por estar aquel nuevo mundo tan oculto, y ser entonces tan nuevo su descubrimiento, y ser las cosas tan nuevas que el almirante veía, y tantas y tan diversas no es de maravillar que tuviese nueva imaginación y sospecha y por eso no se debe de imputar a falta de saber que se pusiese a discurrir si el mundo era del todo esférico o no.[35]

 

Ce paragraphe, plus efficace que la longue dissertation de Las Casas, aboutit à une réhabilitation de la pensée de Colomb et lui donne une forme de légitimité, celle de ce que Ricoeur appellerait «l’imaginaire disponible», en mettant cette «opinion» au service de la dimension inouïe et paradisiaque du Nouveau Monde. Ce qui faisait sourire les uns, voire était objet de moquerie, devient une façon de mettre en exergue le Nouveau Monde, ses mystères et sa grandeur inouïe et d’opérer ainsi une vaste mise en perspective «historique» de la construction du savoir géographique, tout à l’honneur du découvreur.

 

 

2. La proximité de l’Asie : la géographie de Colomb (4e voyage)

 

 

Dans aucun de ses quatre voyages, Colomb n’a déposé son interprétation asiatique des espaces qu’il découvre. Dès le premier voyage, les îles sont supposées être Cipango ou proche du Cathay et les toponymes qu’il appose sur la carte des terres américaines surtout lors du quatrième voyage en sont la preuve.[36] Mieux encore : Colomb annonce la présence d’épices et affirme en sentir le parfum : «hay muchas hierbas… para medecinas de especiería más yo no las cognosco»[37] et plus tard «Va desta manera hácia dentro, dos leguas, hasta llegar a la playa muy hermosa, donde hay un campo de árboles de mil maneras y todos cargados de frutas, que creía el Almirante fuesen de especerías, sino que no se cognoscian como no estuviesen maduras»[38] etc.

Hernando Colomb qui est un grand cosmographe, met à la marge le thème des épices et surtout réduit considérablement cette dimension asiatique. Ainsi il cite «Cibao» sans signaler qu’il s’agit selon le découvreur de Cipango, le Japon.[39] S’agissant de Cuba, Hernando fait preuve de la plus grande ambiguïté qui tient de la manipulation, d’un côté il dit «no tenía certeza si era isla o tierra firme»[40], plus loin «creyendo todavía que ésta era tierra firme». S’il mentionne que son père baptise un cap de Cuba «Alfa»[41], il ne dit pas pourquoi. Cela revient à escamoter l’erreur de son père quant à l’interprétation de la région qui croit que Cuba est un continent[42] et qu’il s’agit de la Chine (province de Mango).[43] On sait qu’il fit dresser un acte à Fernán Perez de Luna et prêter serment à tous les équipages pour certifier la chose…

Dans le cadre du 4e voyage, la proximité de l’Asie est encore plus marquée. Rappelons les faits. De retour à la Hispaniola après la courte exploration du golfe de Paria, Christophe et son frère Bartolomé se heurtent à une situation politique hautement conflictuelle à l’issue de laquelle il est renvoyé en Espagne par le terrible Bobadilla avec les fers aux pieds, tel un criminel. Les Rois Catholiques, toujours plutôt conciliants avec Colomb, le libérèrent de ses fers et le lavèrent des chefs d’accusation dont Bobadilla l’accablait et (novembre 1500). Colomb veut immédiatement repartir pour une nouvelle expédition, toujours avec les mêmes objectifs de toucher les terres de l’Asie et de rapporter des richesses et surtout les épices qui permettront, écrit -il, la reconquête de Jérusalem.

C’est dans le 4e voyage qu’on trouve de la façon la plus concentrée et récurrente l’allusion à l’Asie. Arrivé à Cariay (aujourd’hui la côte mosquita du Nicaragua), il déclare avoir des informations («supe»)[44] sur les mines d’or de «Ciamba» (nom donné par Marco Polo à la Cochinchine). L’indice en sont les miroirs d’or (en fait ce sont sûrement des miroirs de pyrite) que portent les Indiens autour du cou. De la même façon il est convaincu d’accoster dans la province de Ciguare (province du grand Khan) où un vieil Indien qui lui sert d’informateur raconte qu’abondent richesses[45], bijoux de métal précieux et même le poivre ; Il va jusqu’à affirmer qu’on y trouve des chevaux et que cette province de Ciguare est à 10 journées du fleuve Gange. Rien n’est bien loin : ces terres de Ciguare sont très proches de la région du Veragua comme de Fuenterrabia ou Pise à Venise.[46] Il affirme en mars arriver dans la province de Mango Magón») partie du Cathay. Ailleurs Colomb croit que la terre de Veragua est le point de la péninsule de la Chersonèse d’or (nom que Ptolémée donnait à la péninsule de Malacca).

Lorsqu’il est à Cariay, Colomb décrit longuement la zone et affirme que les indigènes prétendent qu’en pénétrant à l’intérieur des terres vers le Cathay on trouve des objets d’or et des vêtements brodés d’or. Il va donc énoncer une théorie selon laquelle si sur la côte (où il ne rencontre que de pauvres pêcheurs) on trouve des gens peu civilisés, à l’intérieur des terres il en va autrement.[47] La proximité des terres andines de Colombie et du Pérou nourrissent peut-être la conviction que plus à l’ouest se trouvent les terres riches de l’orient. D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’il inclut dans sa lettre aux Rois[48] à cet endroit, une réflexion sur la grandeur de la terre sur la carte ptoléméenne corrigée nous dit-il par Marin de Tyr : le monde est petit (il le conçoit en effet plus petit qu’il n’est) et la partie des terres constituent les 6/7e, le dernier septième est couvert d’eau. Il imagine ainsi parfaitement l’extrême proximité, le voisinage des terres asiatiques. Ce discours se double de longs développements sur l’or, son importance, son excellence dont le roi Salomon est l’illustration parfaite, l’or sert la parole du Christ et la religion chrétienne (reconstruction de Jérusalem).[49]

Ce discours «rêvé» accumulatif croise avec des données expérimentales, la rencontre avec les Yucatèques, et les discours des Indiens du Veragua sur les régions aurifères plus à l’ouest (la Colombie l’Équateur et le Pérou) dans un échange chaotique. Il sélectionne des données géographiques qui vont dans ce sens. Ainsi au mois de février il envoie des hommes à l’intérieur des terres qui trouvent des mines d’or et les indigènes les conduisent à un sommet («un cerro muy alto»)[50] et leur montrent toute l’étendue à l’ouest et disent qu’à 20 journées de marche il y a des villes et de l’or, information qui vise aussi à détourner les Espagnols de leur propre village.

Cette dimension «asiatique» du discours de Colomb est largement édulcorée par Hernando qui nettoie le texte et préfère insister sur l’intuition qu’aurait eue son père d’une autre mer (l’Océan Pacifique) et de l’existence d’un détroit, ce qui n’apparaît nullement dans le texte source. Cela ne signifie cependant pas que Colomb n’ait pas évoqué cette possibilité puisque nous ne disposons pas du journal de bord et que probablement c’est le fils, Hernando, qui l’aurait rédigé pour lui, Colomb étant presque aveugle et très affaibli par la goutte. Ainsi, si Hernando Colomb explique que son père ne voulut pas suivre le marchand yucatèque et met cela sur le désir et la détermination chez Colomb de «descubrir el estrecho de tierra firme» «para abrir la navegación del mar de mediodía , de lo que tenía necesidad para descubrir las tierras de la especiería», «se engañó al imaginarlo».[51] L’erreur repose uniquement sur le fait qu’il ne sait pas que c’est un détroit de terre et non pas de mer qui serait comme un canal d’une mer à l’autre. Ceci est un arrangement sous la plume d’Hernando visant à dire que son père avait pressenti l’existence d’une autre mer, géographie avérée seulement en 1513 avec la traversée de l’isthme par Blasco Nuñez de Balboa. Hernando fait ainsi de son père un pionnier, un précurseur ; il découvre sans le savoir ce détroit (de terre et non pas d’eau) qui est bien la «puerta por donde se dominan tantos mares y por donde han sido descubiertas y traídas a España tantas riquezas».[52]

Las Casas opère très différemment: il signale à quel point la communication avec les indigènes lors de leurs rencontres est sujette à des interprétations douteuses.

 

Y como lo vian [sic] los indios con tanta solicitud preguntar dónde había oro, debíanle de hartar de munchas palabras señalándole haber muncha [sic] cantidad de oro por tales y tales tierras, y que traían coronas de oro en la cabeza y manillas dello a los pies y a los brazos bien gruesas, y las sillas y mesas y arcas enforradas de oro y las mantas texidas de brocado; y esto era la tierra adentro, hacia el Catayo [….] De manera que cuanto veían que les mostraban, tanto por les agradar les concedían sin haber visto ni sabido ni oído antes cosas de las que les pedían. Decíanles más; que aquellas gentes de aquellas tierras tenían naos y lombardas, arcos y flechas, espadas y corazas, todo lo que veían que los cristianos allí traían […] Lo cual todo, como se platicaba por señas, o los indios de propósito le burlaban o él ninguna cosa dellos sino lo que deseaba entendía.[53]

 

Que fait Herrera de ces sources si différentes ?

Pas plus qu’Hernando Colomb, Herrera ne mentionne les toponymes et les projections asiatiques de Christophe Colomb ; le chroniqueur officiel participe de ce gommage de l’interprétation asiatique des espaces centroaméricains. S’il recopie en partie la lettera rarisima (qui l’a sous les yeux, tout comme las Casas), il joue une partition différente. Non seulement Colomb ne s’est pas trompé en pensant qu’il y avait «otra mar» mais Herrera va jusqu’à valider les propos de ce vieil Indien affabulateur dont Las Casas se moque :

 

no se engañó ni aun en pensar que era cierto lo de las naos el artillería los arcos flechas corazas y caballos si se considera que todo esto lo tienen los chinos y otros aunque este indio era imposible que lo pudiera saber.[54]

 

Une sorte d’alchimie de la prédiction géographique qui sera vérifiée : le rêve de Colomb cesse d’être une utopie vaine, ou l’indice de la naïveté d’un navigateur peu lettré c’est simplement une pré conception du passage vers l’Orient dans un voile providentialiste. Herrera exhausse la perception géographique qu’aurait eue Colomb grâce à l’expérience postérieure.

Il joue habilement, encore, d’un côté il souligne le raté de Colomb qui néglige l’embarcation yucatèque : «decidió proseguir la vía de poniente que si no lo hiciera sin duda topara con el reino de Yucatán y luego con los de Nueva España pero quiso Dios que aquella ventura quedase para otro».[55] Mais d’un autre coté il donne aux prédictions de Colomb, à ses espoirs aurifères dans les riches civilisations de l’Orient au-delà de Veragua, un fondement et une portée globale (projection jusqu’à la Chine «no se engañó»). Le Yucatán sera pour un autre, et tombera dans l’escarcelle de la Couronne, et l’intuition de Colomb inaugure la future extension globale de la monarchie catholique jusqu’aux Philippines, porte de la Chine.

Dans les deux cas que nous venons de voir Herrera procède de la même façon : il met en perspective historique les événements pour ajuster au temps présent les perceptions qu’en eurent les acteurs, mettant en exergue les conditions de construction du savoir géographique, fruit des données culturelles disponibles et d’une expérience inédite. Dans le même temps, il tisse la toile serrée et continue du prestige de cette séquence historique.

 

 

3. Les luttes de factions et la gouvernance (ingrate) de la couronne (3e et 4e voyage)

 

Les voyages de découverte se sont accompagnés dès les premiers temps de tensions puis de luttes de factions, plus ou moins vives avec le «clan Colomb». On connait le conflit au long cours qui opposa Colomb et les frères Pinzón.[56] L’acmé de ces conflits fut la longue séquence de procès qui opposa la famille du découvreur au fiscal de la couronne. C’est Hernando qui prit la tête de la défense de son père de la façon la plus ardente et implacable. Ce dernier est très critique vis à vis des Pinzón qui se sont séparés de Colomb et qui n’ont pas été loyaux vis à vis de lui. Las Casas prend aussi la plume pour faire état des tromperies des Pinzón dans le cadre des procès Colomb. Le dominicain dénonce leurs manœuvres et leur fourberie avant de conclure ce long chapitre :

 

He querido declarar estos defectos aquí, porque se sepa la verdad y no se usurpe la honra y gloria que se le debe a quien Dios había elegido y eligió para que con tan grandes trabajos descubriese, haciendo nuevo inventor deste orbe, y porque siempre me despluguieron las persecuciones que vide y sentí que injustamente se movían contra este hombre, a quien tanto le debía el mundo.[57]

 

Herrera oriente son discours d’une autre façon (les procès Colomb sont clos depuis1536) et il se contente de réduire considérablement l’action des Pinzón qui ne sont ni découvreurs ni déloyaux. Il constate que le bateau d’Alonso Pinzón plus rapide s’est éloigné et a disparu à la hauteur des eaux de Cuba sans commentaire. On peut parler d’un lissage de ce point qui fut si polémique au cours des décennies antérieures. Il n’en va pas de même pour les deux révoltes auxquelles furent confrontés Cristobal et son frère Bartolomé ; d’abord celle de Roldán dans l’ile Hispaniola puis celle des frères Porras en Jamaïque (4eme voyage).

Tout comme las Casas, sa source directe, Herrera est extrêmement sévère à l’égard de Roldán :[58]  chap 7 il écrit «Francisco Roldán hombre bullicioso y olvidado del pan que había comido del almirante, deseando tener imperio». Il est beaucoup plus radical qu’Hernando Colomb qui se contente de souligner un antagonisme entre Bartolomé et Roldán.

Herrera poursuit sa charge contre les factieux: les alliés de Roldán sont les marins y «la gente baja que mas desabrida estaba»[59] (il dira la même chose pour les Porras). Enfin plus loin il explique que Roldán voulait mener à l’autre extrémité de l’ile «una vida licenciosa»[60] ; cette révolte («mal animo») est d’autant plus injustifiée que ni l’Adelantado ni aucune autre personne n’avait donné «ocasión de queja». Du coup il est extrêmement critique à l’égard de Bobadilla, le gouverneur envoyé par la Couronne à la suite des plaintes des colons contre la gestion des deux frères Colomb, dont il dénonce fermement la pratique de gouvernement trop favorable aux colons. Herrera procède à l’énumération des accusations portées contre les deux frères et remarque : «de las cuales muchas fueron falsas, puesto que el Almirante y ellos no usaron de la templanza que debieran». Il nuance donc considérablement le jugement porté sur la mauvaise gouvernance des Colomb : ils n’ont certes pas toujours bien gouverné mais la plupart des accusations étaient excessives et souvent fausses.

Herrera, dans le droit fil du texte accusateur de Las Casas insiste sur la brutalité de Bobadilla: la mise aux fers de l’amiral sans explications ni discussion :

 

esto pareció término muy descomedido y detestable y caso digno de compasión que una persona puesta en tanta dignidad como era un visorrey y gobernador perpetuo, con renombre de almirante del mar océano, que con tantos trabajos y peligros con aquellos títulos, por singular privilegio de Dios escogido, había ganado para la corona de Castilla y León con obligación de perpetuo agradecimiento, fuese tratado tan inhumanamente.[61]

 

Suprême Infamie: celui qui met les fers à Colomb est un être vil, «un cocinero suyo desvergonzado».[62] Enfin, Bobadilla ne châtie pas les rebelles Roldán et ses hommes : «nunca se entendió que hubiesen sido castigados». La critique du gouverneur est donc dévastatrice.

S’agissant de la rébellion des deux frères Porras en Jamaïque, lors du 4e voyage, Herrera suit de très près le texte de Hernando Colomb. Les textes coïncident dans la description de l’état calamiteux des expéditionnaires, bloqués dans l’île de la Jamaïque sur les bateaux rongés par la «broma» et dépendants des Indiens qui les ravitaillent et sans espoir d’être secourus. Colomb est très malade et un groupe d’Espagnols commence à «murmurar» pour finir par se soulever avec à leur tête les deux frères Porras qui étaient des capitaines. L’accusation contre les Porras est claire «hacían grandes insolencias de los indios». Comme les mutins voulurent s’embarquer sur des pirogues qui ne tenaient pas la haute mer et menaçaient de couler «inhumanamente acordaron de echar los indios que remaban a la mar, matándolos a cuchilladas».[63] Certains rameurs se jettent à l’eau mais fatigués de nager ils s’accrochent au bateau «para que asiéndose del bordo pudiesen descansar, cortabanles con las espadas las manos». Las Casas et Hernando (selon qui 18 indiens furent ainsi tués) sont les deux textes sources.

Herrera crée une opposition frontale entre ces Espagnols cruels et Colomb: «El almirante con mucho amor curaba de los enfermos para mantener en fe a los que le quedaban […] trabajaba de conservar el amistad de los indios». [64] Là encore, il observe que les rebelles sont le plus souvent des gens de mer, grossiers qui pillent les villages indigènes et commettent toutes sortes d’exactions. Colomb au contraire traite avec considération ces Indiens dont il dépend et lorsque ceux-ci fatigués de nourrir ces dizaines d’Espagnols cessent de les ravitailler, il utilise une ruse (prédiction de la lune sanglante) pour les effrayer. L’épisode est bien connu. Il est intéressant de noter ici la façon dont Herrera façonne parfois dans le détail le texte source. Hernando Colomb explique la charge que suppose pour les indigènes de nourrir ce contingent d’Espagnols ; il compare ainsi la consommation des Indiens à celle des Espagnols «como son gente de poco trabajo para cultivar campos grandes, consumíamos nosotros en un dia mas que ellos comen en veinte».[65]

Herrera préfère emprunter au texte lascasien une explication plus clairvoyante de type anthropologique et éliminer l’habituelle accusation de paresse ou de nonchalance affectée aux Indiens : «Como los indios nunca usaron tener mantenimientos sino los que para si habían menester, y los castellanos comen más en un día que ellos en quince haciales gran carga sustentarlos con el abundancia que primero y así se acortaba la comida».[66]

On sait que c’est en Jamaïque qu’eut lieu la première bataille rangée entre Espagnols (ce ne sera pas la dernière). Dans ce chapitre XI, Herrera puise largement dans le texte lascasien, parfois verbatim. Les Porras ont tous les torts : ils refusent de pactiser ou négocier, ils méprisent les soldats de Bartolomé Colomb «les parecían flacos y gente de palacio». Ils sont brutaux et arrogants. L’issue est sans discussion ; les rebelles sont vaincus tués ou en fuite «los que pudieron como gente vil y traidora volvieron las espaldas».[67] Ils seront pardonnés par Colomb.

Plus surprenante est la charge qu’Herrera va mener contre le gouverneur de la Hispaniola, Nicolas de Ovando. Tout comme il n’avait pas épargné Bobadilla, il va relever les offenses faites à Colomb par Ovando, une fois qu’un bateau bien tardivement envoyé est revenu à la Española avec les rescapés de l’expédition. Ovando, méfiant et même hostile à Colomb, va se montrer insultant à l’égard de Colomb («le hizo muchos agravios que tuvo por afrentas») à commencer par la remise en liberté de Francisco Porras («le hizo sacar y poner en libertad en su presencia»).[68] Il feint de ne pas comprendre ni admettre les provisions que Colomb présente en tant que capitaine général («no las admitia ni cumplia» et tout cela «lo llevaban con disimulación y risa». Autant de «vejaciones» subies par l’Amiral.[69] Herrera recopie les accusations de Colomb qui prétend qu’Ovando n’envoya une embarcation de secours que sous la pression de l’opinion des colons» «no se moviera si las murmuraciones del pueblo y lo que se decía en los pulpitos no le hubieran obligado a ello».[70] Il a mis un an à aller secourir les Espagnols de la Jamaïque, use et abuse de son pouvoir.

La critique la plus politique d’Ovando se retrouve seulement sous la plume d’Herrera: «por el mucho tiempo que hacía que servía en la isla, procedía absolutamente».[71] Le rapprochement des deux rebellions est instructif: dans les deux cas les Colomb sont dans leur droit et sont trahis par les rebelles mais surtout dans les deux cas celui qui est également critiqué c’est le gouverneur en charge des affaires mandaté par le roi. Comme si Herrera remettait en perspective l’apprentissage de la gouvernance et l’application du droit à distance, ce qui est un problème crucial auquel les Conseils vont se trouver confrontés. L’envoi de Bobadilla fut une erreur de casting et Ovando (militaire de l’ordre d’Alcantara) s’il fut dans un premier temps un gouverneur d’une féroce efficacité sur le plan de l’établissement colonial, est devenu à l’usure (il gouverne 7 ans de 1502 à 1509) un «autocrate» et donc un homme de parti qui commet des injustices. En 1509 Diego Colomb le remplacera au poste de gouverneur de l’île. La couronne devra apprendre.

 

 

4. Les objectifs de l’épisode colombien sous la plume de Herrera

 

On peut dégager deux objectifs essentiels qui clairement structurent toute la relation de ces deux épisodes colombiens dans les Décades de Herrera : le concept de la réputation du découvreur qui est aussi celle de l’Espagne, et d’autre part la promotion d’un catholicisme ardent dont Colomb est le parangon, observable dans le portrait qu’il en dresse. Deux textes situés à des endroits stratégiques de la chronique sont l’expression exacte de ces deux pôles.

 

La réputation

 

Entró el Almirante en grandísima reputación, en el concepto de las gentes y para que se entienda lo que con ella adquieren los hombres generosos, se dirá que no consiste la reputación en el reputado sino en el reputante, la cual no procede de no tener defecto, sino de ser excelente y valeroso; y por esto, el reputar no es sino considerar profundamente una cosa; y hombre de reputación es aquel cuya virtud (por no poderse fácilmente comprender) es digna de ser muchas veces considerada y estimada. La reputación no es lo mismo que crédito, aunque tienen mucha semejanza; porque el crédito es de las personas particulares y la reputación de los que tratan de las cosas tocantes al bien público y también se diferencia de la autoridad; la cual es tanto como estimación; y porque no se reputan sino aquellos que han pasado los términos del valor humano, debe ser tenida la reputación por fruto de una excelente virtud y de toda perfección; porque un pequeño bien, que no sale fuera de los límites de la mediocridad, es aparejado para causar amor pero no para dar reputación, porque aquellas virtudes dan reputación las cuales tienen del excelente y del admirable y que levantan al hombre y le sacan fuera del número de los hombres comunes y no teniendo el hombre con que sublimarse sino con la sutileza del ingenio y con el vigor del ánimo porque su reputación esta puesta en la opinión y concepto que el pueblo tienen de él. Y la materia en que se debe ocupar para adquirir tan gran bien debe ser tal que al pueblo resulte interés de ella y asi lo hizo el almirante Don Cristóbal Colón el cual muy dignamente adquirió tan gran reputación.[72]

 

 

Ce texte est placé après le retour de Colomb de son premier voyage dans le droit fil de sa réception par les Rois Catholiques à Barcelone. C’est donc dans ce moment inaugural et prestigieux qui ouvre une ère historique nouvelle qu’Herrera fait cette digression sémantique qui glose non seulement la gloire de Colomb mais celle de toutes les gestes à venir («los hechos de los castellanos») face à une entreprise de dénigrement qui déferle sur l’Europe. C’est donc une déclaration de sémantique à vocation géopolitique, centrée sur les hauts faits des héros au service de la couronne. Le contexte de rédaction des Décades explique en grande partie et ce paragraphe et la rédaction même de la totalité de l’œuvre. Beaucoup a été écrit sur la pensée politique et l’idéologie pro patria de l’homme et de la chronique. En 1601 lorsque Herrera commence à publier ses Décadas, la guerre des images bat son plein et les guerres de religions déchirent l’Europe depuis plus de trente années, et plus particulièrement la France.[73] Du côté protestant, alors qu’il présentait les populations amérindiennes sans souci de chronologie, De Bry revient dans le quatrième volume sur l’histoire de ce nouveau continent, avec une vision de Colomb traversant l’Océan, ou arrivant sur Hispaniola. En réalité, les gravures des livres quatre, cinq et six des Grands Voyages qui montrent aux Européens de la Renaissance la rencontre entre les Espagnols et les populations autochtones ont pour source Novae Novi Orbis Historiae… d’Urbain Chauveton. Ce dernier a traduit de l’italien au français l’œuvre de Jérôme Benzoni (1565).[74] L’utilisation par De Bry de l’ouvrage de Benzoni, via la traduction et les commentaires de Chauveton, aboutit à une illustration de la cruauté des conquérants et des maux causés aux habitants des Indes après leur passage. Les événements relatés par Benzoni sont à la fois une apologie du génie de Colomb et une attaque en règle contre les méthodes utilisées par les conquérants espagnols. Benzoni apparaît de facto par son œuvre comme un des supports de la légende noire. Après 1596, date de la parution du sixième volume, De Bry, malade, interrompt son œuvre mais il n’arrête pas de graver, et, en 1598, année de sa mort, sort des presses de Francfort l’ouvrage que nous avons évoqué: Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastatarum verissima, par lequel est diffusé et illustré le texte de Las Casas. L’horreur de l’image de l’Espagnol est donc décuplée lors de la parution de ce deuxième ouvrage, qui participe activement à la légende noire.

Violemment attaquée, la monarchie catholique a besoin d’une histoire officielle, solide, et puissante pour contrecarrer les assauts des autres nations d’Europe. Il s’agit de défendre l’honneur de la nation (la réputation) mis à mal par les puissances européennes (y compris depuis Ramusio qui selon Herrera empoisonne le lecteur de son venin anti-conquérants). Il y a donc deux veines confluentes dont l’iconographie de De Bry est à chaque fois le véhicule efficient. D’un côté l’attaque frontale des conquérants et de l’Espagne et de l’autre l’œuvre d’un Italien catholique qui fait les louanges de Colomb, et le désolidarise de l’ensemble des conquérants, un Colomb italien intelligent, (l’œuf de Colomb) et même gaussé par les Espagnols. Au même titre que Ramusio, Benzoni raccorde l’entreprise de Colomb au prestige de l’Italie et distille également ce venin antiespagnol.

C’est donc une double stratégie défensive qu’opère Herrera en faisant d’une part le point sur ce qu’est la réputation (et c’est bien l’objectif principal de son œuvre) dont l’entreprise de Colomb a posé la première pierre, et d’autre part en faisant dans un chapitre complet le portrait d’un Christophe Colomb complètement « hispanisé » quasiment irréprochable, comme nous allons le voir.

Tous (Miggrode/de Bry et Herrera) utilisent Las Casas qui devient une pièce motrice dans cette mécanique des guerres de communication qui se livre en Europe. Si le texte lascasien est une matière inflammable au service de la légende noire et des ennemis de l’Espagne, il est aussi la plus ardente et la plus documentée défense de Colomb, largement utilisée par Herrera, chroniqueur officiel de la monarchie catholique, lequel se livre ainsi à une opération de déminage. La geste de Colomb est à verser à la gloire et à la réputation de l’Espagne. C’est là l’objectif majeur du chroniqueur explicite dès les premières pages lorsqu’il stigmatise ceux qui ont cherché à ternir la réputation de l’Espagne :

 

porque (como en ella se verá) por mucho que algunos Escritores, contra la neutralidad que requiere la Historia, habían procurado oscurecer la Piedad, Valor, y mucha Constancia de ánimo, que la Nación Castellana ha mostrado en el Descubrimiento, Pacificación, y Población de tantas y tan nuevas Tierras, interpretando a crueldad sus hechos, para oscurecerlos, haciendo más caso de lo malo, que algunos hicieron, sin atribuirlo a la Divina permisión por los pecados enormes de aquellas gentes, que de lo bueno que muchos obraron, para estimarlo.[75]

 

Saint Lu a étudié les cas flagrants de violences des conquérants d’abord dénoncés par Montesinos puis par Las Casas, les «terribles estragos» dans le Darién et les massacres commis dans les îles : à chaque fois l’historien souligne les «gommages» opérés par Herrera des critiques les plus virulentes du dominicain. Rien que de très attendu. Mais l’affaire Colomb est un peu plus complexe. Certes Las Casas tient à faire de Colomb une figure de proue de la christianisation du Nouveau Monde, recopiant le journal du découvreur il exalte sa vision d’un Indien pré édénique et le défend contre toutes les attaques dont il fut l’objet. On a vu que Herrera reprenait le plus souvent à son compte cette défense du découvreur et ses arguments de façon parfois littérale. Il y a donc cohérence entre la vision de Las Casas de Colomb (christum ferens celui qui porte le Christ) et le projet historiographique de Herrera. Rien que de très attendu là encore.

Mais Herrera fait plus. Le portrait qu’il dresse de Christophe Colomb en guise d’oraison funèbre semble dépasser en puissance de feu celui de son transcripteur dévoué, il en est même exactement aux antipodes. Or, Herrera n’invente pas ce portrait, il reprend presque mot pour mot celui que Las Casas dresse de l’Almirante dès l’ouverture de la Historia de las Indias (chapitre 2).[76] Sous la plume de Las Casas, ce portrait tout en louanges et en manifestations de piété inaugurait l’histoire de la découverte du Nouveau Monde par Colomb. Sous la plume de Herrera, il va servir de conclusion à la geste du découvreur. Le dominicain ne manque pas de rédiger un deuxième portrait à titre d’oraison funèbre, un portrait assez éloigné du premier. Ce sont donc ces deux portraits que nous souhaitons mettre en regard. Herrera en choisissant d’intégrer le premier portrait de Colomb, choisit aussi d’éliminer toutes les critiques que Las Casas, avec une grande clairvoyance politique, fait au découvreur dans le portrait final, lorsque ce dernier capture des Indiens, organise leur esclavage ou décide de s’installer et de fonder une colonie dans l’embouchure du fleuve Belen et fait prisonnier le chef indigène local et toute sa famille. À l’inverse, le portrait que reprend à son compte Herrera est tout à la gloire de Colomb de façon inconditionnelle. Aucun portrait des historiens du temps n’atteint cette grandeur sublime inspirée par la providence divine. Herrera dessine un théâtre de la vertu où Colomb n’est que piété, abnégation, courage et humilité. Rien dans ce portrait n’est dit sur les hauts faits (les conquêtes seront faites par d’autres, les héros, les guerriers). Herrera suit pas à pas les marques d’un portrait christique que Las Casas avait projeté de façon inaugurale. Colomb est celui qui fonde l’entreprise des Indes en réputation c’est à dire en grandeur morale par la puissance de sa foi et son désir de la propager (Christo ferens). On comprend ce qui se joue: pour Herrera il importe de sceller l’image de Colomb au profit de la seule monarchie catholique.

 

Texte de Herrera

(livre VI, chap. 15)[77]

Fue D. Christoval Colón alto-de cuerpo, el rostro luengo y autorizado, la nariz aguileña, los ojos garzos, la color blanca, que tiraba á rojo encendido: la barba y cabellos, cuando era mozo rubios, puesto que muy presto, con los trabajos, se le tornaron canos : y era gracioso , y alegre, bien hablado y elocuente; era grave con moderación, con los extraños afable, con los de su casa suave, y placentero, con moderada gravedad , y discreta conversación, y así, provocaba fácilmente a los que le veían a su amor : representaba presencia y aspecto de venerable persona, y de gran estado , y autoridad , y digna de toda reverencia : era sobrio , y moderado en el comer, y beber, vestir , y calzar : solía comúnmente decir, hablando con alegría en familiar habla, o indignado, cuando reprehendía , o se enojaba con alguno: ¿Do vos a Dios, no os parece esto y esto ? o ¿ por qué hicisteis esto o esto? Supo mucha Astrología, y fue mui perito en la Navegación, supo latín e hizo Versos.

En las cosas de la Religión Cristiana, fue muy Católico, y de mucha devoción, y casi en cada cosa que decía, o hacía, siempre anteponía: En el Nombre de ¡a Santísima Trinidad haré esto”: en cualquiera Carta o cosa que escribía, ponía en la cabeza: Jesús Cruz y María fit nobis in vía; su juramento era, algunas veces “Juro a S. Fernando”. Cuando con juramento quería alguna cosa afirmar en sus cartas, espacialmente a los Reyes, decía: Hago juramento que es verdad esto. Ayunaba los ayunos de la observantísimamente: confesaba muchas veces y comulgaba: rezaba todas las Horas Canónicas: era inimicísimo de blasfemias y juramentos, devotísimo de Nuestra Señora y del Bienaventurado San Francisco: pareció ser muy agradecido a Dios, por los beneficios recibidos, por lo cual, casi por Proverbio, cada hora traía que le había hecho Dios grandes mercedes, como a David.

Cuando le llevaban algún oro o cosas preciosas, en su oratorio, de rodillas, daba gracias a Dios porque de descubrir tantos bienes le hacía digno. Era muy celoso de la honra de Dios y muy deseoso de la conversión de los Indios y que por todas partes se sembrase y ampliase la Fe de Jesucristo, y singularmente aficionado y devoto de que Dios le hiciese digno de que pudiese ayudar en algo para ganar el Santo Sepulcro. Y con esta devoción y la confianza que tuvo de que Dios le había de guiar en el descubrimiento de este orbe que prometía, suplicó a la serenísima reina Doña Isabel que hiciese voto de gastar todas las riquezas que por su descubrimiento para los reyes resultase, en ganar la Tierra y Casa Santa de Jerusalén.

Fue varón de grande ánimo, esforzado, y de altos pensamientos ; inclinado particularmente a lo que se puede colegir de su vida, hechos, escrituras ,y conversación, y a acometer hechos egregios y señalados, paciente , y muy sufrido , perdonador de las injurias, y que no quería otra cosa ,según de él se cuenta , sino que conociesen los que le ofendían sus errores y se le reconciliasen los delincuentes: constantísimo y adornado de longanimidad en los trabajos y adversidades , que le ocurrieron siempre, teniendo gran confianza de la Providencia Divina y entrañable fidelidad, y grandísima devoción siempre a los Reyes, y en especial a la Reina Católica; y si él alcanzara el tiempo de los Antiguos, por el admirable empresa de haber descubierto el Nuevo Mundo , demás de los Templos y Estatuas que le hicieran, le dedicaran alguna Estrella en los Signos Celestes, como á Hércules y a Baco; y nuestra edad se puede tener por dichosa , por haber alcanzado tan famoso varón, cuyos loores serán celebrados por infinitos siglos.

 

 

Texte de Las Casas

(livre II, chap 38)[78]

Murió desposeido y despojado del estado y honra que con tan inmensos é increibles peligros, sudores y trabajos habia ganado, desposeido ignominiosamente, sin órden de justicia, echado en grillos, encarcelado, sin oirlo ni convencerlo, ni hacerle cargos ni recibir sus descargos, sino como si los que lo juzgaban fuera gente sin razón, desordenada, estulta, estólida y absurda, y más que bestiales bárbaros.

Esto no fué sin juicio y beneplácito divino, el cual juzga y pondera las obras y fines de los hombres, y así los méritos y deméritos de cada uno, por reglas muy delgadas, de donde nace que lo que nosotros loamos él desloa, y lo que vituperamos alaba; quien bien quisiere advertir é considerar lo que la historia, con verdad, hasta aquí ha contado de los agravios, guerras é injusticias, captiverios y opresiones, despojos de señoríos y estados y tierras, y privación de propia y natural libertad, y de infinitas vidas que á Reyes y á señores naturales, y á chicos y á grandes, en esta isla, y también en Veragua, hizo y consintió hacer absurda y desordenadamente el Almirante[79], no teniendo jurisdicción alguna sobre ellos, ni alguna justa causa, ántes siendo él súbdito dellos por estar en sus tierras, reinos y señoríos, donde tenían jurisdicción natural, y la usaban y administraban, no con mucha dificultad, ni áun con demasiada temeridad, podrá sentir que todos estos infortunios y adversidades, angustias y penalidades fueron, de aquellas culpas, el pago y castigo.

Porque, ¿quién puede pensar que cayese tan gran señal, y obra de ingratitud en tan reales y cristianísimos ánimos como eran los de los Reyes católicos, que a un tan nuevo y tan señalado, y singular y único servicio, no tal otro hecho a Rey alguno en el mundo, fuesen ingratos, y de las palabras y promesas reales, hechas y afirmadas muchas veces por dicho y por escripto, faltos? No es, cierto, creíble, que no cumplirle sus privilegios y mercedes por ellos debidamente prometidas y concedidas por sus tan señalados servicios, por falta de los Reyes quedase, sino solamente por la divina voluntad, que determinó, que de cosa dello en esta vida no gozase, y así, no movía á los Reyes que lo galardonasen, ántes los impidió, sin los Reyes incurrir en mácula de ingratitud, y sin otro defecto que fuese pecado; de la manera que, sin culpa de los mismos Reyes, y sin su voluntad y mandado, el comendador Bobadilla, ó por ignorancia ó por malicia, violando la orden del derecho y justicia, permitió que lo prendiese, aprisionase, despojase de la dignidad y estado, y hacienda que poseía y al cabo desterrase á él y á sus hermanos.

Y lo que más se debe notar es, que no paró en él ni en ellos la penalidad, sino que ha comprendido hasta la tercera generación en sus sucesores, en que está hoy, como, si place a Dios, por la historia será declarado.

Estos son los juicios altísimos y secretísimos de Dios, de los nuestros muy distantes; y por esto será cordura, para el dia postrimero, donde todo en breve se discutirá y será claro á todo el orbe, reservallo. A la bondad y misericordia de Dios plega de contentarse, rescibiendo por satisfacción de las culpas que en estas tierras que descubrió contrajo, las tribulaciones, angustias y amarguras, con los peligros, trabajos y sudores, que toda su vida padeció, porque en la otra vida le haya concedido perpetuo descanso. Ninguno, cierto, de los que sus cosas supimos y supieron, pudo negar que no tuviese buena y simple intención, y a los Reyes fidelidad, y esta fue tan demasiada, que, por servirlos, él mismo confesó con juramento en una carta que les escribió de Cáliz, cuando estaba para se partir para el postrer viaje, que había puesto más diligencia para los servir, que para ganar el Paraíso, y así parece que, por permisión de Dios, que le dieron el pago; y tengo yo por cierto, que aqueste demasiado cuidado de querer servir los Reyes, y con oro y riquezas querer agradallos, y también la mucha ignorancia que tuvo, fue la potísima causa de haber en todo lo que hizo contra estas gentes errado; aunque en los que aconsejaron por aquellos tiempos á los Reyes, como ya queda dicho, fué mucho más culpable.

Es aquí de saber, que el Almirante murió tambien con otra ignorancia, y esta fué, que tuvo por cierto que esta isla Española era la tierra de donde á Salomon se traia el oro para el templo que la Sagrada Escriptura llama Ofir ó Társis; pero en esto es manifiesto haberse engañado, porque en esta isla nunca hobo tan gran copia de oro como de allí se llevaba, y también, porque con el oro llevaban pavones y marfil, que son dientes de elefantes, lo que nunca por este orbe indiano nuestro se vido ni halló, mas se cree haber sido la gran isla Taprobana, de donde aquellas cosas preciosas se llevaron a Jerusalén.

También dijo, que estas islas y tierra firme estaban al fin de Oriente y comienzo de Asia; bien creo yo que, sino hallara atravesada esta nuestra tierra firme, que llegara o pretendiera navegar y llegar al fin de Oriente, y principio de Asia, que es la China, o Malucos o otras tierras por allí, a donde agora navegan los portugueses, y para esto, bien le quedaban por navegar más de otras 2.000 leguas para llegar a donde es el fin de Oriente y principio de Asia, como él decía ser estas islas y tierra firme.

Murió también ántes que supiese que la isla de Cuba fuese isla, porque como anduvo mucho por ella, y áun no llegó á pasar de la mitad, por las grandes tormentas que padesció por la costa della, y de allí se tornó a esta isla, y de camino descubrió a la de Jamaica, como en el libro primero dijimos, siempre creyó que Cuba era punta o cabo de tierra firme; y para en aquellos tiempos, que parecía que de la obscuridad del Océano pasada el mundo se abría, no fué maravilla.

 

Las Casas tente de réduire une contradiction majeure : Colomb est à la fois le découvreur mais aussi le colonisateur qui a exercé des violences à l’égard des indigènes, en contradiction totale avec les principes lascasiens du droit des gens. Ainsi lors du 4e voyage Colomb a accepté que les Espagnols occupent et s’installent illégitimement dans le Veragua : «consintió hacer absurda y desordenadamente el Almirante». Face à cette injonction contradictoire (apologie et blâme), Las Casas évoque la mort de Colomb dépouillé et dépossédé de l’honneur et de l’état qu’il avait gagnés, dans la misère, le dénuement, victime de l’ingratitude des rois et de la suppression de ses privilèges en dépit de ses singuliers services. «Murió desposeído y despojado del estado y honra que con tan inmensos é increíbles peligros, sudores y trabajos había ganado, desposeído ignominiosamente»: le dominicain y voit une punition divine, un effet de la volonté de Dieu qui en a décidé ainsi ce qui explique l’ingratitude royale «que determinó que de cosa dello en esta vida no gozase, y así, no movía a los Reyes que lo galardonasen». Aucun reproche ne peut donc être fait aux Rois. Pire encore : le châtiment ne s’arrête pas à Christophe Colomb mais touche ses successeurs jusqu’à la 3e génération.

L’autre axe de ce portrait tout en demi-teintes est l’ignorance géographique de Colomb (ce que las Casas appelle son autre ignorance) : il s’est trompé sur l’identité de Cuba qu’il croyait être l’île d’où Salomon rapporta l’or pour son temple ; il s’est trompé en pensant que les îles et la terre ferme étaient la partie extrême de l’orient ou le commencement de l’Asie. Las Casas constate qu’il mourut sans savoir que Cuba était une île et souligne cette ignorance pardonnable en conclusion dans une phrase magnifique: «siempre creyó que Cuba era punta o cabo de tierra firme; y para en aquellos tiempos, que parecía que de la obscuridad del Océano pasada el mundo se abría, no fué maravilla».[80]

On est bien loin du portrait de Herrera qui dépeint un homme proche de la sainteté, qui se définit par son degré extrême de piété, sa dévotion en toutes circonstances, sa sagesse et sa modération. Rien sur la géographie et les terres découvertes, rien sur cette ouverture du monde, à peine effleure-t-il le talent du navigateur, rien sur ses titres et leur lente mutilation : rien d’autre que l’évocation d’un homme qui telle une étoile éclaire la réputation de l’Espagne, un modèle édifiant. Herrera procède à une dissolution de l’histoire au profit d’une inscription «céleste» que l’on doit célébrer pour des siècles et des siècles. Ce portrait de type hagiographique ne traite pas d’actions, Acta ou Res gestae mais de vertus chrétiennes. Il semble que le portrait de Colomb s’exorbite en une fonction épiphanique.

C’est bien le sens qu’il faut donner au premier regard posé sur les Îles par Colomb. Herrera puise chez Las Casas et Hernando Colomb la mise en scène de la révélation et son discours annonciateur « de la bonne nouvelle ». L’amiral s’installe pour veiller à la poupe du bateau et voit le premier une lumière dans la nuit tropicale «vio lumbre»[81]. Le chroniqueur reprend presque verbatim les termes d’Hernando «vio la luz en medio de las tinieblas entendiendo espiritual que se introducía entre aquellos bárbaros».[82]

Mais il ne s’arrête pas à cet emprunt et ajoute « Permitiendo Dios que acabada la guerra con los moros, después de 720 años que tomaron pie en España, se comenzase esta obra para que los reyes de Castilla y de León anduviesen siempre ocupados en traer a los infieles a la santa fe católica».[83] Herrera remodèle une citation de Gómara dans le proemio a Carlos quinto : «Quiso Dios descobrir las Indias en vuestro tiempo y a vuestros vasallos, para que las convertiésedes a su santa ley, como dicen muchos hombres sabios y cristianos. Comenzaron las conquistas de indios acabada la de moros, porque siempre guerreasen españoles contra infieles».[84]

Par cette prolepse providentialiste, Dieu est aux cotés de l’Espagne et de Colomb qu’il investit de cette mission sainte et guerrière dans une vision téléologique de l’histoire. La figure de Colomb est travaillée de façon complexe et subtile, dans laquelle Herrera use habilement du texte de Las Casas. Il ne procède pas à une censure brutale ni à un montage grossier, il y a constamment dans le texte place pour des replis, des doutes et certains désaveux, comme ses critiques des gouverneurs de la Hispaniola. Grâce à un savant découpage et une habile recomposition Herrera va ramener dans la maison commune de la monarchie catholique et le dominicain intransigeant et belliqueux et le navigateur génois qu’il va ravir aux ennemis de l’Espagne qui s’en étaient indument emparés. «Piedad, Valor, Constancia de ánimo » c’est bien là ce que Colomb doit incarner et c’est bien ainsi que se fonde la réputation de l’Espagne et la conscience du Roi.

Loin d’être un plagiaire, Herrera est un esprit en marche qui capte, tisse, agence plusieurs types de sources, même les plus périlleuses pour les mettre en cohérence dans un concordisme impérial d’une indiscutable efficacité.

 

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Louise Bénat-Tachot

Sorbonne Université

 

 

 


 

 

Bibliografía

 

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[1] Colón (1986: 32).

[2] Les quatre premières Décadas ont été imprimées en 1615. Elles embrassent une période de 62 années qui va de 1492 à 1554. Nous utiliserons l’édition hélas très fautive de Mariano Cuesta Domingo: Antonio de Herrera y Tordesillas, Historia general de los hechos de los castellanos en las islas y tierra firme del mar océano, edición M. Cuesta Domingo, Madrid: Universidad complutense de Madrid, 1991, t. 1.

[3] Il s’agit du taret (teredinidae): un mollusque qui dévore le bois et appelé par dérision «broma» par les Espagnols. Colomb commente ainsi les dégâts dans le 4e voyage : «les navires plus percés par les tarets que ne le sont les rayons de miel, et les hommes au comble de l’abattement et du désespoir».

[4] Les lettres manuscrites de Colomb ont été perdues, ainsi le journal de bord par exemple pour le 1er et le 3e voyage proviennent de Fray Bartolomé de las Casas (copies effectuées par le dominicain, in Varela, 1986, Introducción p. 9-34). S’agissant du 4e voyage, c’est Hernando Colomb, son fils, et qui a fait partie de l’expédition qui constitue une source majeure dans la biographie rédigée entre 1537 et 1539, Historia del Almirante, Madrid, Dastin, edición de Luis Arranz Márquez, 2000.

[5] Il aurait ainsi enterré la chronique de Cervantes de Salazar pour relater la conquête du Mexique selon Bosch García et José Torre Revello, “Biografía de Antonio de Herrera y Tordesilla, Cronista Mayor de Indias”, http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/cronistas-coloniales-segunda-parte--0/html/ 00011b3c-82b2-11df-acc7-002185ce6064_8.html.: «Herrera dio una interpretación errada a ciertos documentos, y al extractar otros, incurrió en inexactitudes y hasta en contradicciones, agregando datos de los historiógrafos que le precedieron, sin cuidarse de averiguar si eran exactos».

[6] Pour le sens politique de l’écriture de l’histoire chez Hererra voir Martínez Martínez (2014).

[7] Saint-Lu (1988: 365-377, n. 3).

[8] Saint-Lu (1988: n. 4).

[9] Fornari, un noble de Gênes, traduisit le texte qui fut édité à Venise en 1571. Hernando Colomb fut l’acteur principal des procès de sa famille dont la partie la plus importante se déroula entre 1508 et 1536. Il constitue une source en particulier pour le 4e voyage car l’Amiral, outre son frère Bartolomé, avait embarqué son jeune fils Hernando qui à l’époque a 13ans. À la mort de don Hernando (1539), l’énorme bibliothèque de ce deuxième fils passa au convent de San Pablo (1544 jusqu’en 1552) et c’est là que Las Casas a pu la consulter à loisir lors de ses séjours sévillans par exemple de février à juillet 1544.Enfin le dominicain disposait non seulement d’une copie des procès avec la Couronne, mais aussi de tout un arsenal de données pour écrire la vie de Christophe: il avait la lettre et la carte de Toscanelli, plusieurs copies de papiers de l’Almirante et sans doute a-t-il eu entre les mains l’exemplaire de la Imago mundi de P. d’Ailly (aujourd’hui dans la Biblioteca Colombina de Sevilla).Grâce à une copie autographe de Las Casas, on conserve le résumé des Diarios des 1er et 3e voyages.

[10] Saint-Lu (1988: 366).

[11] Saint-Lu (1988: 365).

[12] Non sans un bon sens assez ironique, Pedro Mártir commente dans ce sens le soulagement de l’équipage et l’interprétation édénique qu’en fait Colomb «que aquella tierra estaba más próxima al cielo que las demás regiones de aquel paralelo», Mártir (1989: 56).

[13] La vitesse du courant dans le golfe varie beaucoup avec de fortes marées donc la quantité d’eau en provenance de l’Orénoque et des autres fleuves qui se déversent dans le golfe produit une baisse significative de la salinité de l’eau et le développement d’importantes mangroves.

[14] Colón (1986: 233).

[15] Colón (1986: 240).

[16] La particularité de l’étoile polaire est de se situer quasiment dans le prolongement de l’axe des pôles (d’où son nom), c’est-à-dire de l’axe de rotation de la Terre. Elle est donc pratiquement dénuée de mouvement. En revanche dans l’hémisphère sud il n’y a pas d’étoile polaire. Le pôle céleste Sud, visible depuis l’hémisphère austral, réside dans une constellation moderne assez terne, l’Octant (polaris australis) à peine visible donc peu utile à la navigation. C’est la croix du sud (constellation remarquée en premier dans l’hémisphère sud) qui est repérable car elle est entourée sur trois côtés par le Centaure, et deux des étoiles de cette constellation sont utiles pour trouver le pôle sud céleste.

[17] Colón (1986: 242).

[18] Sur l’étude du Paradis Terrestre voir l’excellent ouvrage de Scafi (2013).

[19] Colón (1986: 237).

[20] Colón (1986: 238).

[21] «Juzgaba que la mar iba subiendo, y los navíos alzándose hacia el cielo suavemente», Las Casas (1994: 1078).

[22] Mártir (1989: 60).

[23] Mártir (2003: 153).

[24] López de Gómara (2021: 209).

[25] Las Casas (1994: 1059-1106), soit une cinquantaine de pages.

[26] «The general tendency of exegisis was to admit that Eden was no longer part of the present world and that Paradise had now disappeared”, Scafi (2013: 254).

[27] Herrera (1991: 365).

[28] Herrera (1991: 368).

[29] Herrera (1991: 370).

[30] Herrera (1991 : 370).

[31] Herrera (1991 : 369).

[32] Herrera (1991 : 370).

[33] Les verbes utilisés par Las Casas pour détailler l’argumentaire de Colomb relèvent à la fois de l’intelligence, de l’observation et des autorités («persuadir»/«xoncebir»/«razones»/«harto probable»/«muy urgentes razones»/«considerar») il est donc logique et sage à la fois de soupçonner (et non d’imaginer) une telle localisation.

[34] «Ciertamente para estar este mundo destas Indias tan oculto y ser tan reciente su descubrimiento y ver las cosas tan nuevas que veía, no es de maravillar que el almirante tanta y de tan diversas y nuevas cosas, sospecha, imaginaciones y sentencia nueva tuviese», Las Casas (1994 : 1079).

[35] Herrera (1991: 370).

[36] Citons quelques exemples «Reino de Pego» (sans doute un toponyme taino) fait référence à une province d’Asie riche en rubis selon Marco Polo, «Faba» (30 oct.) version déformée pour Bafan nom d’une province du grand khan selon Marco Polo, «Cabo de oriente» (Cabo de cuba) ou «alpha» et «omega» (début et fin de la terre l’extrémité de l’Asie), la province de «Ciguare» sous le gouvernement du grand khan(Cyguare) à 10 journées du Gange, «Tierra de Magon» reprend le toponyme asiatique de la province Mango, «Cibao» pour Cipango (qui fera long feu dans la cartographie) «Ciamba» (pour désigner la Cochinchine chez Marco Polo).

[37] Viernes 19 de octubre, Colón (1986: 75).

[38] Jueves 6 de diciembre, Colón (1986: 118).

[39] Colón, H. (2000: 132; 170).

[40]. Colón, H. (2000: 179; 181).

[41] Colón, H. (2000: 124).

[42] “Informe y juramento de como Cuba era Tierra firme” (documento XII), Colón (1984), Cartas particulares Consuelo Varela y Juan Gil, Madrid Alianza editorial, 1984. Un document bien connu conservé à l’Archivo General de Indias (Patronato 8, ramo 11) daté du 12 juin 1494 détaille le serment exigé par l’Almirante, à bord de la Niña, des équipages des trois bateaux de l’expédition. Sous peine de sévères punitions, Colomb fit jurer aux marins, mousses, pilotes, contre maîtres et maitres et de toutes les personnes à leur service à bord, que les côtes qu’ils venaient de parcourir n’étaient pas celles d’une île (Cuba en l’occurrence) mais du continent asiatique.

[43] Colón (1986: 185).

[44] Colón (1986: 282).

[45] Il obtient ces informations à la hauteur du cap du Honduras, d’un vieil Indien prélevé d’une embarcation yucatèque de 25 hommes.

[46] Colón (1986: 282).

[47] Colón (1986: 292-93). «Hierusalem y el monte de Sion ha de ser reedificado por mano de cristiano».

[48] Nous parlons de la lettre écrite aux Rois un mois après s’être échoué en Jamaïque, appelée lettera rarissima, connue à partir d’une copie tardive dont se servit un traducteur italien (1505) et publiée à Venise. Cette lettre ne parvint jamais aux Rois et se retrouva dans la bibliothèque de don Hernando.

[49] Colón (1986: 283, 292).

[50] Colón (1986: 285).

[51] Colón (1986: 286).

[52] Colón (1986: 286).

[53] Las Casas (1994: 1379).

[54] Herrera (1991: 429).

[55] Herrera (1991: 430).

[56] On sait qu’ils furent les adversaires farouches des Colomb lors des procès, lorsque le fiscal Villalobos décida de démontrer grâce à leurs témoignages que Colomb n’avait pas été le premier à découvrir les îles et que sans les Pinzón, Colomb aurait fait demi-tour.

[57] Las Casas (1994: 3, 661).

[58] Las Casas est tout aussi véhément : les rebelles menés par Roldán menaient une vie abominable impure et tyrannique, ayant chacun toutes les femmes qu’il voulait, exactions et violences inutiles, tuant et poignardant facilement. Las Casas (1994 : 1109 &sq).

[59] Herrera (1991: 355, 356).

[60] Herrera (1991: 358)

[61] Herrera (1991: tome 1, 408).

[62] Là encore reprise de Las Casas : celui qui lui mit les fers fut«un concinero suyo desconoscido y desvergonzado, el cual con tan deslavada frente se los echó con si le sirviera con algunos platos de nuevos y preciosos manjares», Las Casas (1994: 1262).

[63] Herrera (1991 : 459).

[64] Herrera (1991: 460).

[65] Colón H (2000: 324).

[66] Herrera (1991: 460).

[67] Herrera (1991: 469 & sq.).

[68] Herrera (1991: 471).

[69] Herrera (1991: 471). Herrera reprend ici le texte de Las Casas.

[70] Herrera (1991: 471).

[71] Dans le chapitre suivant on lit la synthèse de toutes les démarches et suppliques de Colomb et de Diego son fils auprès de Ferdinand peu disposé à les écouter.  «cuantas mas peticiones daban al rey tanto mejor respondía y se lo dilataba». Ferdinand cherche à le faire renoncer à ses privilèges: «para que hiciese renunciación de los privilegios». Herrera sur ce point est d’un laconisme et d’une prudence politique très habiles.

 

[72] Herrera (1991: 310).

[73] Du côté catholique Le Theatrum Crudelitatum Haereticorum nostri temporis de Richard Verstegan (Anvers, 1587) a connu plusieurs rééditions, ainsi qu’une publication en français.

[74] L’auteur milanais avait accompli, un vaste travail de compilation nourri principalement des écrits de Francisco López de Gómara et du dominicain Bartolomé de Las Casas. Traducteur de cette compilation, qui raconte successivement les découvertes de Colomb et Magellan et la conquête du Pérou, Urbain Chauveton ajoute ses propres commentaires.

[75] Herrera (1991: 257).

[76] Las Casas (1994, 1, 360).

[77] Herrera (1991: 476-477).

[78] Las Casas (1994: 1444-1446).

[79] Las casas fait ici allusion en particulier à ce qu’il développe dans le chap. 150 où il transcrit la lettre de Colomb aux Rois de 1496 où il expose de quelle façon la traite des Indiens et le bois de brésil constitueront des rentes substantielles pour la couronne ; les esclaves peuvent être vendus à 1 500 maravédis pièce, bien qu’ils meurent en grand nombre, il n’en sera pas toujours ainsi ; c’était le même chose au début avec les Noirs et les Canarien » !!!: Las Casas commente cet aveuglement sans scrupule d’une grande et stupide insensibilité :Las Casas pense que Christophe Colomb a été contaminé par les Portugais dans leur négoce : la divine providence résolut par une autre voie et d’une autre façon d’ôter cette affaire des mains de l’amiral ; c’est ce qui revient dans le portrait qu’il dresse à titre d’oraison funèbre. Rien de tout cela n’apparaît chez Herrera.

[80] Las Casas (1994 : 1446).

[81] «a dos horas antes de media noche, estando don Cristóbal En el castillo de popa, vio lumbre», Herrera (1991: 283).

[82] Colón H. (2000: 110). Selon Las Casas Colomb est le premier à voir cette lumière «en figura de la espiritual que por sus sudores había Cristo de infundir a aquestas gentes que vivían e tan profundas tinieblas», Las Casas (1994: t. 3, 550).

[83] Herrera (1991: 283).

[84] López de Gómara (2021: 69).