LA CONSTRUCTION DE LA GESTE COLOMBIENNE SOUS LA
PLUME D’ANTONIO DE HERRERA: REFLEXIONS SUR LES DEUX DERNIERS VOYAGES DE
CHRISTOPHE COLOMB
THE CONSTRUCTION OF THE COLUMBIAN FEATS ACCORDING
TO ANTONIO DE HERRERA Y TORDESILLAS: REFLECTIONS ON CHRISTOPHER COLUMBUS’ LAST
TWO VOYAGES
Louise Bénat-Tachot
Resumen: El tercer viaje de Colón así como sus fantasiosas ideas cosmográficas fueron
objeto de mofa (por López de Gómara en 1552, entre otros autores) mientras
que la cuarta expedición desembocó en un desastre, según parecer de todos.
Estas dos expediciones contrastan en todos los planos con los dos primeros
viajes insulares y triunfantes que abren la gloriosa historia de los hechos
ilustres de los castellanos en la historiografía americana. El destino
sombrío de Cristóbal Colón invita a interrogar la manera como el cronista de
los Heroicos Hechos de los castellanos reconstruye estas dos secuencias, así
como la gesta colombina, un siglo después. Abstract: Columbus’
third voyage and his fanciful cosmographic ideas were ridiculed (among others
by López de Gómara in 1552), while the fourth
expedition was deemed a disaster by everyone. These two expeditions stand in
complete contrast to the first two insular triumphant voyages, which mark, in
American historiography, the beginning of the glorious history of the great
deeds of the Castilians. The darkness of Christopher Columbus’ fate calls
into question how the chronicler of the Great Deeds of the Castilians
reconstructed these two episodes and the Columbian feats a century later. |
Palabras
clave: Antonio
de Herrera y Tordesillas, Cristóbal Colón, geografía, Paraíso Terrenal,
reputación.
Keywords: Antonio
de Herrera y Tordesillas, Christopher Columbus, geography, earthly paradise,
reputation.
Fecha de recepción: 6 de octubre de 2024
Fecha de aceptación: 3 de diciembre de 2024
L |
e troisième voyage de découverte fut très court (juillet et août 1498),
abordant le golfe de Paria Colomb affirme s’approcher du Paradis Terrestre et
pour étayer sa démonstration, énonce l’idée cosmographique fantasque selon
laquelle la forme de la terre serait celle d’une poire. On sait que, de retour
à Saint-Domingue, il est renvoyé en Espagne, les fers aux pieds sur ordre du
redoutable Francisco de Bobadilla. Quant au quatrième voyage de découverte le
long de la côte centraméricaine orientale (qui est aussi le plus long : il
part en mai 1502 et revient à Sanlucar en novembre 1504 soit deux années et
demie), il est considéré comme absolument stérile, une forme de débâcle, faite
d’échecs, d’obstacles et de désillusions. Consuelo Varela dit clairement que ce fut «el viaje
más desastroso e inútil de cuantos efectuó el Almirante de la Mar Océano».[1] En effet ; il «rate tous ses objectifs» : il frôle le Yucatán
sans comprendre l’intérêt de la belle embarcation d’un riche marchand maya
croisé au nord du Honduras ; il rate l’isthme panaméen de si grande
importance pour la suite, il perd la totalité de sa flotte, revient en Castille
avec moins de la moitié de son équipage (mais certains sont restés aux
Antilles) et enfin une fois en Espagne, criblé de dettes, plein d’amertume et
de désillusions, il apprend la mort de son plus précieux soutien, Isabelle la
Catholique et ne trouve pas d’écoute auprès du roi Ferdinand. Ces deux voyages
ont cependant un point commun, Colomb aborde sur le continent américain (côte
de l’actuel Venezuela et la côte orientale de l’Amérique centrale).
C’est la noirceur du destin du
découvreur qui m’invite à relire la façon dont Antonio de Herrera,[2]
premier grand chroniqueur officiel de la couronne reconstruit cette partie de
la geste colombienne, deux séquences où Colomb a particulièrement souffert («fatigas y trabajos») tant sur le plan physique (il meurt en 1506 un an et demi après le
retour de son 4e voyage, usé, malade et presque aveugle) que sur le
plan des obstacles naturels. Les sources n’évoquent que tempêtes, ouragans (1e
description d’une tornade, «una manga»), canicule, qui, avec l’insidieuse action
de la «broma»,[3] conduisent à la destruction de tous les navires. Sans compter avec sa
disgrâce politique : la réduction lente mais implacable et sans doute
irrésistible de ses privilèges par Ferdinand le Catholique, obstacles portés le plus souvent au discrédit
de l’Amiral.
De quelle façon le chroniqueur
officiel de la monarchie catholique en ces premières années du XVIIe
siècle, donc plus de soixante ans plus tard, va-t-il reconstruire ce double
récit qui a déjà fait couler beaucoup d’encre ? Herrera dispose des
nombreuses chroniques à commencer – pour ne citer que les plus connues –
par les textes du découvreur (retranscrits en grande partie par las Casas dans
la Historia de las Indias) les Décadas del Nuevo Mundo de Pierre Martyr, la Historia de las Indias de Fernández de Oviedo et celle de López de Gómara, ainsi que la Historia
del Almirante rédigée
par son fils Hernando Colomb.[4]
Il dispose aussi de tous les rapports (informes) émis par Colomb
lui-même, par les Rois, par les compagnons de Colomb, par ses ennemis, donc
toute une documentation officielle sans compter avec l’abondante littérature
des procès Colomb. Tous ces récits par leurs contradictions illustrent que
rédiger une version officielle et dans un souci de concordisme de la geste colombienne dans son entier n’était pas une
mince affaire.
Considéré par les uns comme le
fossoyeur des autres chroniqueurs,[5]
par les autres un historien pro patria et en butte à ses contradicteurs, Herrera affirme
avec vigueur énoncer la «vérité» («con que fuese siempre salvar
la verdad») en toute liberté.[6] Voyons
ce qu’il en est.
Cronista
mayor de las Indias (charge créée en 1571), Herrera
surtout pour cette première partie des Décades va utiliser comme source
majeure (et pour certains chapitres presque exclusive) la Historia de las Indias de Bartolomé de Las Casas. Comment faire
autrement ? On sait que le dominicain recopie les textes du journal
de Colomb en les aménageant et parfois en les commentant. Herrera a accès aux
manuscrits de la Historia de las Indias. Las Casas les avait déposés en 1559
au collège San Gregorio de Valladolid et ils furent remis au Conseil des Indes
en 1571 et laissés à disposition de Herrera à partir de 1597 « para efecto de escribir la historia de
las Indias que por mandato de su Majestad y consejo se le encargó ».[7]
C’était là une source massive particulièrement bien documentée. Certains
historiens éditorialistes de Herrera ont bien noté cette filiation mais sans en
faire aucun commentaire (édition de Cuesta Domingo, et celle de la Real
Academia de la Historia de Ballesteros y Altolaguirre).[8]
Ailleurs Las Casas et Herrera après lui suivent volontiers le texte d’Hernando
Colomb dont le manuscrit est perdu mais que Luis Colomb troisième Almirante de las Indias et neveu d’Hernando Colomb a cédé à Baliano de Fornari. Ce texte fut
édité en italien en 1571.[9]
De là à conclure que Herrera n’est
qu’un plagiaire, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement Antonio Maria Fabié qui estime «No hace [Herrera] otra cosa que modificar su estilo [de Las Casas] en infinitos
pasajes que copió».[10]
Cette filiation lascasienne
ne laisse pourtant pas d’être problématique et fait naître un autre
questionnement : comment Herrera, chroniqueur officiel en charge de la
geste des Castillans (ce qui apparaît dans l’emphase de son titre «Los hechos de los castellanos»), va-t-il utiliser le texte de Las Casas, la voix la plus critique et la plus virulente à
l’égard des conquérants ? Le professeur Saint Lu reconnaît : «il
n’est pas banal qu’un historien officiel, au propos apologétique –nous dirions
volontiers nationaliste– clairement affiché, ait tenu à l’utiliser comme
principale source d’informations».[11]
C’est d’autant plus surprenant qu’en 1598 Théodore de Bry sort des presses de
Francfort un ouvrage qui crée en Europe un profond sentiment de malaise : Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastatarum verissima dans lequel il illustre la traduction en latin faite par Miggrode du texte de la Brevísisma
relación de la destrucción
de las Indias de Las Casas, texte qui devient une
des pièces maîtresses de la construction de la légende noire.
Quelle est la place et quel est le
profil de Colomb, l’Italien, le Génois, l’étranger dans l’histoire telle que la
conçoit Herrera lorsqu’il utilise abondamment Las Casas et pas seulement pour
Colomb mais aussi pour d’autres épisodes ? C’est plus précisément ce «nœud» Colomb/Las Casas /Herrera que je souhaite
explorer sans prétendre épuiser la question en me centrant sur les deux
derniers voyages, les plus problématiques.
En rapprochant le texte de Herrera de
celui de Las Casas et d’Hernando Colomb, on voit se dessiner le façonnage d’un
récit historique dont on peut déceler et les stratégies et les enjeux. Pour
ajuster mon propos à cette contribution, j’ai distingué trois entrées, celles
qui furent le plus «polémiques».
1. La question du paradis terrestre (3e
voyage)
et les idées
cosmographiques de Christophe Colomb
Cette navigation d’exploration dura deux mois
(juillet-août) car Colomb décida très vite de revenir à Saint-Domingue. Il n’a
plus de provisions (eau, bois, victuailles), lui-même souffre énormément des
yeux et d’insomnie. Sans doute a-t-il aussi dans l’esprit de remonter une
nouvelle expédition en direction du Golfo de las
perlas et des îles de Cubagua et de Margarita dont il
vient de toucher les côtes. Il a pu constater que les Indiens de la région
portent des ornements de perles, parfois même incrustées dans les rames de
leurs pirogues! Enfin, il souhaite venir au secours de
son frère Bartolomé, resté dans l’île de La Hispaniola comme administrateur
intérimaire et qui se trouve en difficulté, confronté à la sédition de Roldán.
Comme pour le premier voyage, on
dispose de la copie du journal de bord faite par Las Casas et une lettre
rédigée par l’Amiral une fois arrivé à Saint-Domingue en août 1498. C’est dans
le golfe de Paria que Colomb prétend localiser le Paradis Terrestre. Comment
expliquer une telle affirmation ? Après une navigation où l’équipage
endura «un calor excesivo y desordenado»,
l’expédition parvient dans le golfe par l’entrée orientale (Boca de la Sierpe) au sud de l’île de Trinidad, ce qui constitua un
soulagement pour tout l’équipage. On peut comprendre l’allégresse à bord nous
dit Pierre Martyr.[12]
Le navigateur enregistre alors les premiers effets hydrauliques surprenants,
inédits, connus aujourd’hui comme le mascaret
c’est-à-dire une vague énorme qui se forme à la suite de la rencontre
des eaux fluviales – le delta inferieur de l’Orénoque – avec
plusieurs autres fleuves et le phénomène des marées.[13]
La rencontre de l’eau douce avec l’eau salée de l’océan produit une
accélération en particulier au niveau de la Boca de la Sierpe.
Une énorme vague met alors son embarcation en péril. Il évoque ainsi ce
phénomène :
[...] y en la noche , ya muy tarde, estando al
bordo de la nao oí un rugir terrible que venía de la parte del austro hazia la nao, y me paré a mirar y vi levantado la mar de
Poniente a Levante, en manera de una loma tan alta como la nao, y todavía venía
hazia mi poco a poco, y ençima
d’ella venía un filero de corriente, que venía
rugiendo con muy grande estrépito, con aquella furia de aquel rugir […]que […] de
los otros hileros que yo dixe que me pareçían ondas de mar que davan
en peñas, que oy en día tengo el miedo en el cuerpo
que no me trabucasen la nao cuando
llegasen debaxo d’ella. Y passó y llegó fasta la boca adonde allí se detuvo grande
espacio.[14]
Il s’agit donc là d’un spectacle à la
fois effrayant et grandiose. Mais il y a plus. La terre est belle et le climat
est très doux, en dépit de sa proximité avec la ligne équatoriale : «(...) hallé temperançia
suavíssima, y las tierras y
árboles muy verdes y tan hermosos como en Abril en las güertas de Valençia».[15]
La nature qu’il observe est objet d’admiration, d’espoir de richesses et lieu de
mystères naturels, tant sur le plan des eaux que sur le plan du ciel. En effet
les constellations en particulier l’étoile polaire[16]
et les gardiennes (la petite ourse), bien que toujours visibles car Colomb ne
franchit pas la ligne équinoxiale, ont cependant changé d’orientation. La conjugaison de tous ces phénomènes conduit Colomb à déduire qu’il se
trouve à proximité du Paradis Terrestre en général localisé «au bout de l’Orient». «Creo que allí es el
paraíso Terrenal, adonde no puede llegar nadie salvo por voluntad divina».[17]
Dans une
perspective géographique, l’image du Paradis Terrestre procédait du contexte
méditerranéen et proche-oriental, de leurs paysages marqués par le désert et
l’eau rare. Or la végétation luxuriante et l’abondance d’eau des Antilles découvertes lors du
premier voyage coïncidait déjà parfaitement avec l’image du jardin d’Eden. Les
habitants sont nus comme au temps de leur première innocence, avec de beaux
corps (et non monstrueux ou difformes) et aucun n’avaient plus de trente ans,
signe sans équivoque de la jeunesse éternelle.
Du coup, la présence du Paradis
Terrestre est pressentie très tôt, Colomb le sollicite et baptise une vallée
luxuriante «Valle del
Paraiso». Il souligne la salubrité du climat (pas un seul de ses hommes ne
souffre de maux ni de migraines) et dès le 1er voyage, il
observe que les îles sont parfaitement tempérées par un éternel printemps
comparable au printemps en Andalousie en sorte que cette nature pouvait bien se
trouver à la fin de l’Orient là où les théologiens au Moyen Âge plaçaient le
Paradis terrestre.[18]
Ce pressentiment va se faire évidence puis certitude dans le troisième
voyage : Colomb ne découvre pas le Paradis Terrestre mais il le localise
et ce serait là l’illustration du dessein de Dieu à son endroit. Imbu de son
rôle messianique, il est bien celui qui porte le Christ, un élu du Seigneur.
Tout concorde. Colomb distingue
d’agréables jardins d’où s’exhalent de doux parfums, agités d’une brise suave
et bruissant de chants d’oiseaux, il ne voit pas d’animaux sauvages (au Paradis
Terrestre, tous les animaux sont pacifiques) et plus tard il rencontre des Indiens
plus beaux, plus blancs et ornés de perles fines. Il y a donc une sorte
d’ajustement nécessaire des données géographiques livrées par l’expérience et
l’interprétation que Colomb en fait, dans le cadre de l’horizon d’attente du
découvreur. Cette localisation est étroitement liée au syndrome asiatique de
Colomb qui était intimement convaincu d’avoir atteint son but oriental dès le
premier voyage. Le navigateur expérimenté se rend compte que l’aiguille de la
boussole se comporte curieusement.[19]
C’est ainsi que pour arriver à compenser ces variations, il imagine que la
sphère terrestre présente à cet endroit un renflement, car, d’après lui, seule
l’élévation pourrait expliquer le phénomène :
[...]E para esto allego todas las razones sobreescriptas de la raya que passa
al Ocçidente de las islas de los Açores
cient leguas de Septentrión en Austro, que en passando de allí al Poniente, ya van los barcos alçándose hazia el cielo
suavemente, y entonces se goza de más suave temperançia
y se muda el aguja de marear por causa de la suavidad d’esa cuarta de viento.[20]
Les effets de la température clémente à l’approche de l’équateur sont
inexplicables sauf à penser qu’on s’élève.[21]
La température de l’air est plus agréable, les indigènes ont la peau
plus claire, le climat est plus tempéré, parce que cette région s’élève en
pente douce vers le ciel ! Toutes les « preuves » sont réunies.
Le grand fleuve et l’inclinaison de la surface de la Terre démontrent que l’on
approche du lieu élevé où se trouve le Paradis. D’ailleurs, les trois montagnes
aperçues sur l’île située près de la «Boca del Dragón» étaient un signe
divin : l’île s’appela – et s’appelle toujours – Trinidad.
Colomb est sûr de lui et il affirme par deux fois son intime conviction que c’est
là que se trouve le Paradis terrestre.
Pierre Martyr d’Anghiera,
commentant ces pages de Colomb au sixième livre de sa première Décade
avoue sa perplexité : «basta ya
de cosas que me parecen fabulosas»[22]
dit-il au sujet du Paradis Terrrestre et des
explications de Colomb sur la non sphéricité de la terre («fabulosa
mihi videantur»)[23].
Il ajoute: «las razones que él da no me
satisfacen del todo ni tampoco en parte». Ce n’est pas le cas de López
de Gómara qui, narquois et radical, se moque de
cette fausse opinion quand en 1552, il écrit :
Afirmaba eso mesmo que no era redondo el mundo como pelota, sino como pera, pues en
todo aquel viaje había siempre navegado hacia arriba, y que Paria era el pezón
del mundo, pues della no se veía el norte […]; que Paria esté más alta que España, ser no
puede, pues en figura redonda no hay un punto más alto que otro revolviéndola.
El mundo es redondísimo, luego igual,
y así está nuestra España tan cerca del
cielo como su Paria, aunque no tan debaxo el sol. De aquesta falsa opinión de Cristóbal Colón debió quedar
creído entre hombres sin letras que iban de España a las Indias cuesta arriba y
venían cuesta abaxo.[24]
Las Casas opte pour une stratégie
très différente dans laquelle la doxographie chrétienne et Augustin en
particulier vont jouer un rôle considérable.[25]
Le dominicain, sur la base du journal de Colomb analyse de façon détaillée l’épisode du golfe de Paria pour
construire un argumentaire qui déjoue le jugement sévère de son contemporain Gómara. Il vise à démontrer que la croyance de Christophe
Colomb en la proximité du Paradis Terrestre n’est due ni à un manque de
discernement ni à un manque de culture, mais qu’il s’agit d’une interprétation acceptable, même légitime. Il
souligne tous les indices qui vont dans ce sens et ajoute que si les
quatre fleuves censés jaillir du Paradis Terrestre (le Tigre, le Nil,
l’Euphrate et le Gange) se trouvent très éloignés du golfe de Paria, leur cours
a pu parcourir de vastes espaces de façon souterraine. C’était là un
commentaire géographique en vigueur pour expliquer les grandes distances qui
séparaient les quatre fleuves en dépit de leur origine paradisiaque ;
cette opinion était donc fort répandue en particulier chez Augustin et reprise
dans le De situ orbis de Pomponius Mela.
Hernando Colomb quant à lui (Vida del Almirante, 1571), soucieux de restaurer le prestige de son père, ne
fait aucune allusion à cette interprétation. C’est qu’en effet le cosmographe est
parfaitement conscient de l’abandon de toute tentative de localisation de
l’Eden sur la carte et du discrédit qui pesait sur son père dont beaucoup se
gaussent.[26]
Que fait Herrera avec cet encombrant épisode?
Pour la partie géographique, Herrera suit le texte de Las Casas et
Hernando Colomb pour expliquer en particulier le phénomène hydraulique fluvial.
Comme Las Casas il l’agrémente d’une série de données postérieures à titre explicatif: le mascaret s’explique par le déversement des
eaux de l’Orénoque «tan gran corriente
de la parte del Sur del río
Yuyapari que quedaba al sur
(que aun el almirante no había conocido)». Plus loin il
explique la violence du phénomène par la saison : «especialmente en los meses
de Julio y Agosto que era cuando por alli
andaba el almirante».[27] On
connaît mieux maintenant l’aspect saisonnier de la montée des eaux dans
la région. Herrera répète en revanche à plusieurs reprises que Christophe
Colomb ne sait pas s’il est «cerca
de tierra firme» ou s’il foule une «tierra firme». La question de l’identification de la terre
découverte (île ou continent et quel continent ?) prend sous sa plume une
importance particulière. Le chroniqueur signale alors une ébauche du
raisonnement de l’Almirante à ce sujet mais de façon très synthétique :
[…] ver si aquella
gran abundancia de agua, procedía de ríos como los
marineros afirmaban (lo que no creía) porque le parecía que ningún río del
mundo podía llevar tanta agua, allende de que las tierras que veía no podían
dar tanta agua, si ya no fuesen tierras firmes.[28]
Observation qu’il reprend plus loin: «vino en conocimiento
que tierra tan grande no era isla sino tierra firme». Néanmoins, il rappelle: «Trinidad y tierra firme que creyó ser el cabo de
Oriente».[29] Cette question de tierra
firme n’est pas sans importance car d’elle dépend le titre de Colomb et de
sa lignée. Herrera en créant un flottement sur cette question joue très
subtilement. Il mêle une croyance «fausse» être aux
confins de l’Asie («creía») à un raisonnement
géographique (tant d’eau ne peut provenir d’une île). Autrement dit quand bien
même Colomb pense être sur un continent, ce qui n’est pas assuré, il se trompe
car il croit qu’il s’agit de la limite extrême de l’Asie. L’homme qui observe
pense «juste» et l’homme qui croit pense «faux».
Cette subtilité permet de ne pas remettre en cause la mutilation des titres de
Colomb par la couronne.
Quant à la
localisation du Paradis Terrestre, Herrera, sans reprendre exactement le
raisonnement de Colomb ni l’argumentaire de Las Casas, en rend compte dans un long paragraphe
(chapitre XII du troisième livre) sous le terme «opinión».
L’utilisation de la source lascasienne se fait
cependant avec certaines nuances. Herrera expose la question de la forme de
la terre en termes differents:
«imaginábalo como media pera, pezón alto como
una teta de mujer, más propincua del aire y del cielo […] sobre aquel pezón le
parecía que podía estar situado el Paraiso Terrenal
puesto que de allí adonde estaba, estuviese muy lejos».[30]
«Vino a dar en opinión que hacia
aquella parte debía de estar el Paraíso terrenal».[31]
Et de reprendre les raisons
ou les indices d’une telle “opinión” en particulier l’énorme quantité d’eau douce : «la
multitud y grandeza desta agua dulce […] se lo hacía
imaginar: la cual el parecía que podía venir de la fuente del Paraiso terrenal y bajar a este golfo aunque viniese desde muy lejos y de este
golfo nacer los cuatro ríos, Nilo Tigres Éufrates y Ganges o ir a ellos por sus
cataratas, debajo de la tierra y de la mar también».[32]
C’est donc avec une notable distance rhétorique mise en œuvre grâce aux
nombreux verbes d’opinion («creía»/«imaginaba» /«opinión»/«parecía») qu’Herrera choisit d’évoquer ce qui, pour Colomb,
relevait de la ferme conviction.[33] Grâce à une telle présentation des
idées de Colomb, Herrera avec finesse, façonne cet épisode dans une perspective
historique qui écarte tout jugement comminatoire. Colomb est un navigateur qui
émet des réflexions («disquisiciones») sur la base d’une
expérience inédite, difficile à expliquer. Une sorte de méditation géographique. C’est ainsi qu’à titre de conclusion,[34] il
reprend à son compte le commentaire du dominicain :
Por estar aquel nuevo
mundo tan oculto, y ser entonces tan nuevo su descubrimiento, y ser las cosas
tan nuevas que el almirante veía, y tantas y tan diversas no es de maravillar
que tuviese nueva imaginación y sospecha y por eso no se debe de imputar a falta
de saber que se pusiese a discurrir si el mundo era del todo esférico o no.[35]
Ce
paragraphe, plus efficace que la longue dissertation de Las Casas, aboutit à
une réhabilitation de la pensée de Colomb et lui donne une forme de légitimité,
celle de ce que Ricoeur appellerait «l’imaginaire
disponible», en mettant cette «opinion» au service de la dimension inouïe et
paradisiaque du Nouveau Monde. Ce qui faisait sourire les uns, voire était
objet de moquerie, devient une façon de mettre en exergue le Nouveau Monde, ses
mystères et sa grandeur inouïe et d’opérer ainsi une vaste mise en perspective «historique» de la construction du savoir géographique,
tout à l’honneur du découvreur.
2. La proximité de
l’Asie : la géographie de Colomb (4e voyage)
Dans aucun de ses quatre
voyages, Colomb n’a déposé son interprétation asiatique des espaces qu’il
découvre. Dès le premier voyage, les îles sont supposées être Cipango ou proche
du Cathay et les toponymes qu’il appose sur la carte des terres américaines
surtout lors du quatrième voyage en sont la preuve.[36]
Mieux encore :
Colomb annonce la présence d’épices et affirme en sentir le parfum :
«hay muchas hierbas… para medecinas
de especiería más yo no las cognosco»[37]
et plus tard «Va desta
manera hácia dentro, dos leguas, hasta llegar a la
playa muy hermosa, donde hay un campo de árboles de mil maneras y todos
cargados de frutas, que creía el Almirante fuesen de
especerías, sino que no se cognoscian como no
estuviesen maduras»[38]
etc.
Hernando
Colomb qui est un grand cosmographe, met à la marge le
thème des épices et surtout réduit considérablement cette dimension asiatique.
Ainsi il cite «Cibao» sans
signaler qu’il s’agit selon le découvreur de Cipango, le Japon.[39]
S’agissant de Cuba, Hernando fait preuve de la plus grande ambiguïté qui tient
de la manipulation, d’un côté il dit «no tenía certeza si era isla o tierra firme»[40], plus
loin «creyendo todavía que ésta era tierra
firme». S’il mentionne que son père baptise un cap de Cuba
«Alfa»[41], il ne
dit pas pourquoi. Cela revient à escamoter l’erreur de son père quant à
l’interprétation de la région qui croit que Cuba est un continent[42] et
qu’il s’agit de la Chine (province de Mango).[43]
On sait qu’il fit dresser un acte à Fernán Perez de
Luna et prêter serment à tous les équipages pour certifier la chose…
Dans le
cadre du 4e voyage, la proximité de l’Asie est encore plus marquée.
Rappelons les faits. De retour à la Hispaniola après la courte exploration du
golfe de Paria, Christophe et son frère Bartolomé se heurtent à une situation
politique hautement conflictuelle à l’issue de laquelle il est renvoyé en
Espagne par le terrible Bobadilla avec les fers aux pieds, tel un criminel. Les
Rois Catholiques, toujours plutôt conciliants avec Colomb, le libérèrent de ses
fers et le lavèrent des chefs d’accusation dont Bobadilla l’accablait et
(novembre 1500). Colomb veut immédiatement repartir pour une nouvelle
expédition, toujours avec les mêmes objectifs de toucher les terres de l’Asie
et de rapporter des richesses et surtout les épices qui permettront, écrit -il,
la reconquête de Jérusalem.
C’est dans
le 4e voyage qu’on trouve de la façon la plus concentrée et
récurrente l’allusion à l’Asie. Arrivé à Cariay
(aujourd’hui la côte mosquita du Nicaragua), il
déclare avoir des informations («supe»)[44] sur
les mines d’or de «Ciamba» (nom donné par Marco Polo
à la Cochinchine). L’indice en sont les miroirs d’or (en fait ce sont sûrement
des miroirs de pyrite) que portent les Indiens autour du cou. De la même façon
il est convaincu d’accoster dans la province de Ciguare
(province du grand Khan) où un vieil Indien qui lui sert d’informateur raconte
qu’abondent richesses[45],
bijoux de métal précieux et même le poivre ; Il va jusqu’à affirmer qu’on
y trouve des chevaux et que cette province de Ciguare
est à 10 journées du fleuve Gange. Rien n’est bien loin : ces terres de Ciguare sont très proches de la région du Veragua comme de Fuenterrabia ou Pise à Venise.[46] Il
affirme en mars arriver dans la province de Mango («Magón») partie du Cathay. Ailleurs Colomb croit que
la terre de Veragua est le point de la péninsule de
la Chersonèse d’or (nom que Ptolémée donnait à la péninsule de Malacca).
Lorsqu’il
est à Cariay, Colomb décrit longuement la zone et
affirme que les indigènes prétendent qu’en pénétrant à l’intérieur des terres
vers le Cathay on trouve des objets d’or et des vêtements brodés d’or. Il va
donc énoncer une théorie selon laquelle si sur la côte (où il ne rencontre que
de pauvres pêcheurs) on trouve des gens peu civilisés, à l’intérieur des terres
il en va autrement.[47] La
proximité des terres andines de Colombie et du Pérou nourrissent peut-être la
conviction que plus à l’ouest se trouvent les terres riches de l’orient.
D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’il inclut dans sa lettre aux Rois[48] à cet
endroit, une réflexion sur la grandeur de la terre sur la carte ptoléméenne
corrigée nous dit-il par Marin de Tyr : le monde est petit (il le conçoit
en effet plus petit qu’il n’est) et la partie des terres constituent les 6/7e,
le dernier septième est couvert d’eau. Il imagine ainsi parfaitement l’extrême
proximité, le voisinage des terres asiatiques. Ce discours se double de longs
développements sur l’or, son importance, son excellence dont le roi Salomon est
l’illustration parfaite, l’or sert la parole du Christ et la religion
chrétienne (reconstruction de Jérusalem).[49]
Ce discours «rêvé» accumulatif croise avec des données expérimentales,
la rencontre avec les Yucatèques, et les discours des Indiens du Veragua sur les régions aurifères plus à l’ouest (la
Colombie l’Équateur et le Pérou) dans un échange chaotique. Il sélectionne des
données géographiques qui vont dans ce sens. Ainsi au mois de février il envoie
des hommes à l’intérieur des terres qui trouvent des mines d’or et les
indigènes les conduisent à un sommet («un cerro muy alto»)[50] et
leur montrent toute l’étendue à l’ouest et disent qu’à 20 journées de marche il
y a des villes et de l’or, information qui vise aussi à détourner les Espagnols
de leur propre village.
Cette
dimension «asiatique» du discours de Colomb est
largement édulcorée par Hernando qui nettoie le texte et préfère insister sur
l’intuition qu’aurait eue son père d’une autre mer (l’Océan
Pacifique) et de l’existence d’un détroit, ce qui n’apparaît nullement dans le
texte source. Cela ne signifie cependant pas que Colomb n’ait pas évoqué cette
possibilité puisque nous ne disposons pas du journal de bord et que
probablement c’est le fils, Hernando, qui l’aurait rédigé pour lui, Colomb
étant presque aveugle et très affaibli par la goutte. Ainsi, si Hernando Colomb
explique que son père ne voulut pas suivre le marchand yucatèque et met cela
sur le désir et la détermination chez Colomb de «descubrir el estrecho de tierra firme» «para abrir la navegación del mar de mediodía , de lo que tenía necesidad para descubrir las tierras de la especiería», «se engañó al imaginarlo».[51] L’erreur
repose uniquement sur le fait qu’il ne sait pas que c’est un détroit de terre
et non pas de mer qui serait comme un canal d’une mer à l’autre. Ceci est un
arrangement sous la plume d’Hernando visant à dire que son père avait pressenti
l’existence d’une autre mer, géographie avérée seulement en 1513 avec la
traversée de l’isthme par Blasco Nuñez de Balboa.
Hernando fait ainsi de son père un pionnier, un précurseur ; il découvre
sans le savoir ce détroit (de terre et non pas d’eau) qui est bien la «puerta por
donde se dominan tantos
mares y por donde han sido descubiertas y traídas a España tantas riquezas».[52]
Las Casas
opère très différemment: il signale à quel point la
communication avec les indigènes lors de leurs rencontres est sujette à des
interprétations douteuses.
Y como lo vian [sic] los indios con tanta solicitud preguntar dónde
había oro, debíanle de hartar de munchas palabras
señalándole haber muncha [sic] cantidad de oro por tales y tales tierras, y que
traían coronas de oro en la cabeza y manillas dello a
los pies y a los brazos bien gruesas, y las sillas y mesas y arcas enforradas de oro y las mantas texidas
de brocado; y esto era la tierra adentro, hacia el Catayo
[….] De manera que cuanto veían que les mostraban,
tanto por les agradar les concedían sin haber visto ni sabido ni oído antes
cosas de las que les pedían. Decíanles más; que
aquellas gentes de aquellas tierras tenían naos y lombardas, arcos y flechas, espadas
y corazas, todo lo que veían que los cristianos allí traían […] Lo cual todo,
como se platicaba por señas, o los indios de propósito le burlaban o él ninguna
cosa dellos sino lo que deseaba entendía.[53]
Que fait
Herrera de ces sources si différentes ?
Pas plus
qu’Hernando Colomb, Herrera ne mentionne les toponymes et les projections
asiatiques de Christophe Colomb ; le chroniqueur officiel participe de ce
gommage de l’interprétation asiatique des espaces centroaméricains. S’il
recopie en partie la
lettera rarisima (qui l’a sous les yeux, tout comme las
Casas), il joue une partition différente. Non seulement Colomb ne s’est pas
trompé en pensant qu’il y avait «otra
mar» mais Herrera va jusqu’à valider les propos de ce
vieil Indien affabulateur dont Las Casas se moque :
no se engañó ni aun en
pensar que era cierto lo de las naos el artillería los
arcos flechas corazas y caballos si se considera que todo esto lo tienen los
chinos y otros aunque este indio era imposible que lo pudiera saber.[54]
Une sorte
d’alchimie de la prédiction géographique qui sera vérifiée : le rêve de
Colomb cesse d’être une utopie vaine, ou l’indice de la naïveté d’un navigateur
peu lettré c’est simplement une pré conception du passage vers l’Orient dans un
voile providentialiste. Herrera exhausse la perception géographique qu’aurait
eue Colomb grâce à l’expérience postérieure.
Il joue
habilement, là encore, d’un côté
il souligne le raté de Colomb qui néglige l’embarcation yucatèque : «decidió proseguir la vía de poniente que
si no lo hiciera sin duda topara con el reino de Yucatán y luego con los de
Nueva España pero quiso Dios que aquella ventura quedase para otro».[55]
Mais d’un autre coté il donne aux prédictions de Colomb, à ses espoirs
aurifères dans les riches civilisations de l’Orient au-delà de Veragua, un fondement et une portée globale (projection
jusqu’à la Chine «no se engañó»). Le Yucatán sera
pour un autre, et tombera dans l’escarcelle de la Couronne, et l’intuition de
Colomb inaugure la future extension globale de la monarchie catholique
jusqu’aux Philippines, porte de la Chine.
Dans les
deux cas que nous venons de voir Herrera procède de la même façon : il met
en perspective historique les événements pour ajuster au temps présent les
perceptions qu’en eurent les acteurs, mettant en exergue les conditions de
construction du savoir géographique, fruit des données culturelles disponibles
et d’une expérience inédite. Dans le même temps, il tisse la toile serrée et
continue du prestige de cette séquence historique.
3. Les luttes de factions et la gouvernance (ingrate) de la couronne (3e
et 4e voyage)
Les voyages de découverte
se sont accompagnés dès les premiers temps de tensions puis de luttes de
factions, plus ou moins vives avec le «clan Colomb».
On connait le conflit au long cours qui opposa Colomb et les frères Pinzón.[56] L’acmé
de ces conflits fut la longue séquence de procès qui opposa la famille du
découvreur au fiscal de la couronne. C’est Hernando qui prit la tête de la
défense de son père de la façon la plus ardente et implacable. Ce dernier est
très critique vis à vis des Pinzón qui se sont séparés de Colomb et qui n’ont
pas été loyaux vis à vis de lui. Las Casas prend aussi la plume pour faire état
des tromperies des Pinzón dans le cadre des procès Colomb. Le dominicain
dénonce leurs manœuvres et leur fourberie avant de conclure ce long chapitre :
He querido declarar
estos defectos aquí, porque se sepa la verdad y no se usurpe la honra y gloria
que se le debe a quien Dios había elegido y eligió para que con tan grandes
trabajos descubriese, haciendo nuevo inventor deste
orbe, y porque siempre me despluguieron las
persecuciones que vide y sentí que injustamente se
movían contra este hombre, a quien tanto le debía el mundo.[57]
Herrera
oriente son discours d’une autre façon (les procès Colomb sont clos depuis1536)
et il se contente de réduire considérablement l’action des Pinzón qui ne sont
ni découvreurs ni déloyaux. Il constate que le bateau d’Alonso Pinzón plus
rapide s’est éloigné et a disparu à la hauteur des eaux de Cuba sans
commentaire. On peut parler d’un lissage de ce point qui fut si polémique au
cours des décennies antérieures. Il n’en va pas de même pour les deux révoltes
auxquelles furent confrontés Cristobal et son frère Bartolomé ; d’abord
celle de Roldán dans l’ile Hispaniola puis celle des
frères Porras en Jamaïque (4eme voyage).
Tout comme
las Casas, sa source directe, Herrera est extrêmement sévère à l’égard de Roldán :[58] chap 7 il écrit «Francisco Roldán hombre bullicioso y olvidado del pan que había comido del
almirante, deseando tener imperio». Il est beaucoup
plus radical qu’Hernando Colomb qui se contente de souligner un antagonisme
entre Bartolomé et Roldán.
Herrera
poursuit sa charge contre les factieux: les alliés de Roldán sont les marins y «la gente baja
que mas desabrida estaba»[59] (il
dira la même chose pour les Porras). Enfin plus loin
il explique que Roldán voulait mener à l’autre
extrémité de l’ile «una vida
licenciosa»[60] ;
cette révolte («mal animo») est d’autant plus
injustifiée que ni l’Adelantado ni aucune autre
personne n’avait donné «ocasión de queja». Du coup il est extrêmement critique à l’égard de
Bobadilla, le gouverneur envoyé par la Couronne à la suite des plaintes des
colons contre la gestion des deux frères Colomb, dont il dénonce
fermement la pratique de gouvernement trop favorable aux colons. Herrera
procède à l’énumération des accusations portées contre les deux frères et
remarque : «de las cuales muchas fueron falsas, puesto que el Almirante y ellos no usaron de la templanza que debieran». Il nuance donc considérablement le jugement porté sur la
mauvaise gouvernance des Colomb : ils n’ont certes pas toujours bien
gouverné mais la plupart des accusations étaient excessives et souvent fausses.
Herrera,
dans le droit fil du texte accusateur de Las Casas insiste sur la brutalité de Bobadilla: la mise aux fers de l’amiral sans explications ni
discussion :
esto pareció término
muy descomedido y detestable y caso digno de compasión que una persona puesta
en tanta dignidad como era un visorrey y gobernador perpetuo, con renombre de
almirante del mar océano, que con tantos trabajos y
peligros con aquellos títulos, por singular privilegio de Dios escogido, había
ganado para la corona de Castilla y León con obligación de perpetuo
agradecimiento, fuese tratado tan inhumanamente.[61]
Suprême Infamie: celui qui met les fers à Colomb est un
être vil, «un cocinero suyo
desvergonzado».[62]
Enfin, Bobadilla ne châtie pas les rebelles Roldán et
ses hommes : «nunca se entendió
que hubiesen sido castigados». La critique du gouverneur est donc
dévastatrice.
S’agissant
de la rébellion des deux frères Porras en Jamaïque,
lors du 4e voyage, Herrera suit de très près le texte de Hernando
Colomb. Les textes coïncident dans la description de l’état calamiteux des
expéditionnaires, bloqués dans l’île de la Jamaïque sur les bateaux rongés par
la «broma» et dépendants des
Indiens qui les ravitaillent et sans espoir d’être secourus. Colomb est très
malade et un groupe d’Espagnols commence à «murmurar» pour finir par se soulever avec à leur
tête les deux frères Porras qui étaient des
capitaines. L’accusation contre les Porras est claire «hacían grandes insolencias de los indios». Comme
les mutins voulurent s’embarquer sur des pirogues qui ne tenaient pas la haute
mer et menaçaient de couler «inhumanamente
acordaron de echar los indios que remaban a la mar, matándolos a cuchilladas».[63]
Certains rameurs se jettent à l’eau mais fatigués de nager ils s’accrochent au
bateau «para que asiéndose del
bordo pudiesen descansar, cortabanles con las
espadas las manos». Las Casas et Hernando (selon qui
18 indiens furent ainsi tués) sont les deux textes sources.
Herrera
crée une opposition frontale entre ces Espagnols cruels et Colomb: «El
almirante con mucho amor curaba de los enfermos para mantener en fe a los que
le quedaban […] trabajaba de conservar el amistad de
los indios». [64]
Là encore, il observe que les rebelles sont le plus souvent des gens de
mer, grossiers qui pillent les villages indigènes et commettent toutes sortes
d’exactions. Colomb au contraire traite avec considération ces Indiens dont il
dépend et lorsque ceux-ci fatigués de nourrir ces dizaines d’Espagnols cessent
de les ravitailler, il utilise une ruse (prédiction de la lune sanglante) pour
les effrayer. L’épisode est bien connu. Il est intéressant de noter ici la
façon dont Herrera façonne parfois dans le détail le texte source. Hernando
Colomb explique la charge que suppose pour les indigènes de nourrir ce
contingent d’Espagnols ; il compare ainsi la consommation des Indiens à
celle des Espagnols «como
son gente de poco trabajo para cultivar campos
grandes, consumíamos nosotros
en un dia mas que ellos comen
en veinte».[65]
Herrera
préfère emprunter au texte lascasien
une explication plus clairvoyante
de type anthropologique et éliminer l’habituelle accusation de paresse ou de nonchalance affectée aux Indiens : «Como los indios nunca
usaron tener mantenimientos sino los que para si habían menester, y los
castellanos comen más en un día que ellos en quince haciales
gran carga sustentarlos con el abundancia que primero y así se acortaba la
comida».[66]
On sait que
c’est en Jamaïque qu’eut lieu la première bataille rangée entre Espagnols (ce
ne sera pas la dernière). Dans ce chapitre XI, Herrera puise largement dans le
texte lascasien, parfois verbatim. Les Porras ont tous les torts : ils refusent de pactiser
ou négocier, ils méprisent les soldats de Bartolomé Colomb
«les parecían flacos
y gente de palacio». Ils sont brutaux et arrogants.
L’issue est sans discussion ; les rebelles sont vaincus tués ou en fuite «los que pudieron como gente vil y traidora volvieron las espaldas».[67] Ils
seront pardonnés par Colomb.
Plus
surprenante est la charge qu’Herrera va mener contre le gouverneur de la
Hispaniola, Nicolas de Ovando. Tout comme il n’avait pas épargné Bobadilla, il
va relever les offenses faites à Colomb par Ovando, une fois qu’un bateau bien
tardivement envoyé est revenu à la Española avec les
rescapés de l’expédition. Ovando, méfiant et même hostile à Colomb, va se
montrer insultant à l’égard de Colomb («le hizo muchos agravios
que tuvo por afrentas») à commencer par la remise en liberté de Francisco
Porras («le hizo sacar y poner en libertad en su presencia»).[68] Il
feint de ne pas comprendre ni admettre les provisions que Colomb présente en
tant que capitaine général («no las admitia ni cumplia» et tout cela «lo llevaban
con disimulación y risa». Autant de «vejaciones» subies par
l’Amiral.[69]
Herrera recopie les accusations de Colomb qui prétend qu’Ovando n’envoya une embarcation de secours que sous la pression de l’opinion des colons» «no se
moviera si las murmuraciones del pueblo y lo que se decía en los pulpitos no le
hubieran obligado a ello».[70]
Il a mis un an à aller secourir les Espagnols de la Jamaïque, use et
abuse de son pouvoir.
La critique la plus politique d’Ovando se retrouve seulement sous la plume d’Herrera: «por el mucho tiempo que hacía que servía en la
isla, procedía absolutamente».[71]
Le rapprochement des deux rebellions est instructif: dans les deux cas
les Colomb sont dans leur droit et sont trahis par les rebelles mais surtout
dans les deux cas celui qui est également critiqué c’est le gouverneur en
charge des affaires mandaté par le roi. Comme si Herrera remettait en
perspective l’apprentissage de la gouvernance et l’application du droit à
distance, ce qui est un problème crucial auquel les Conseils vont se trouver
confrontés. L’envoi de Bobadilla fut une erreur de casting et Ovando (militaire
de l’ordre d’Alcantara) s’il fut dans un premier temps un gouverneur d’une
féroce efficacité sur le plan de l’établissement colonial, est devenu à l’usure
(il gouverne 7 ans de 1502 à 1509) un «autocrate» et
donc un homme de parti qui commet des injustices. En 1509 Diego Colomb le
remplacera au poste de gouverneur de l’île. La couronne devra apprendre.
4. Les objectifs de l’épisode
colombien sous la plume de Herrera
On peut dégager deux objectifs essentiels qui
clairement structurent toute la relation de ces deux épisodes colombiens dans
les Décades de Herrera : le concept de la réputation du découvreur
qui est aussi celle de l’Espagne, et d’autre part la promotion d’un
catholicisme ardent dont Colomb est le parangon, observable dans le portrait
qu’il en dresse. Deux textes situés à des endroits stratégiques de la chronique
sont l’expression exacte de ces deux pôles.
La réputation
Entró el Almirante en grandísima reputación, en
el concepto de las gentes y para que se entienda lo que con ella adquieren
los hombres generosos, se dirá que no consiste la reputación en el reputado
sino en el reputante, la cual no procede de no tener defecto, sino de ser
excelente y valeroso; y por esto, el reputar no es sino considerar
profundamente una cosa; y hombre de reputación es aquel cuya virtud (por no
poderse fácilmente comprender) es digna de ser muchas veces considerada y
estimada. La reputación no es lo mismo que crédito, aunque tienen mucha
semejanza; porque el crédito es de las personas particulares y la reputación
de los que tratan de las cosas tocantes al bien público y también se
diferencia de la autoridad; la cual es tanto como estimación; y porque no se
reputan sino aquellos que han pasado los términos del valor humano, debe ser
tenida la reputación por fruto de una excelente virtud y de toda perfección;
porque un pequeño bien, que no sale fuera de los límites de la mediocridad,
es aparejado para causar amor pero no para dar reputación, porque aquellas
virtudes dan reputación las cuales tienen del excelente y del admirable y que
levantan al hombre y le sacan fuera del número de los hombres comunes y no
teniendo el hombre con que sublimarse sino con la sutileza del ingenio y con
el vigor del ánimo porque su reputación esta puesta en la opinión y concepto
que el pueblo tienen de él. Y la materia en que se debe ocupar para adquirir
tan gran bien debe ser tal que al pueblo resulte interés de ella y asi lo hizo el almirante Don Cristóbal Colón el cual muy
dignamente adquirió tan gran reputación.[72] |
Ce texte est placé après le retour de
Colomb de son premier voyage dans le droit fil de sa réception par les Rois Catholiques
à Barcelone. C’est donc dans ce moment inaugural et prestigieux qui ouvre une
ère historique nouvelle qu’Herrera fait cette digression sémantique qui glose
non seulement la gloire de Colomb mais celle de toutes les gestes à venir («los
hechos de los castellanos») face à une entreprise de dénigrement qui
déferle sur l’Europe. C’est donc une déclaration de sémantique à vocation
géopolitique, centrée sur les hauts faits des héros au service de la couronne.
Le contexte de rédaction des Décades explique en grande partie et ce
paragraphe et la rédaction même de la totalité de l’œuvre. Beaucoup a été écrit
sur la pensée politique et l’idéologie pro patria
de l’homme et de la chronique. En 1601 lorsque Herrera commence à publier ses Décadas, la guerre des images bat son plein
et les guerres de religions déchirent l’Europe depuis plus de trente années, et
plus particulièrement la France.[73]
Du côté protestant, alors qu’il présentait les populations amérindiennes sans
souci de chronologie, De Bry revient dans le quatrième volume sur l’histoire de
ce nouveau continent, avec une vision de Colomb traversant l’Océan, ou arrivant
sur Hispaniola. En réalité, les gravures des livres quatre, cinq et six des Grands
Voyages qui montrent aux Européens de la Renaissance la rencontre entre les
Espagnols et les populations autochtones ont pour source Novae
Novi Orbis Historiae…
d’Urbain Chauveton. Ce dernier a traduit de l’italien
au français l’œuvre de Jérôme Benzoni (1565).[74]
L’utilisation par De Bry de l’ouvrage de Benzoni, via
la traduction et les commentaires de Chauveton,
aboutit à une illustration de la cruauté des conquérants et des maux causés aux
habitants des Indes après leur passage. Les événements relatés par Benzoni sont à la fois une apologie du génie de Colomb et
une attaque en règle contre les méthodes utilisées par les conquérants
espagnols. Benzoni apparaît de facto par son
œuvre comme un des supports de la légende noire. Après 1596, date de la
parution du sixième volume, De Bry, malade, interrompt son œuvre mais il n’arrête
pas de graver, et, en 1598, année de sa mort, sort des presses de Francfort
l’ouvrage que nous avons évoqué: Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastatarum verissima, par
lequel est diffusé et illustré le texte de Las Casas. L’horreur de l’image de
l’Espagnol est donc décuplée lors de la parution de ce deuxième ouvrage, qui
participe activement à la légende noire.
Violemment attaquée, la monarchie
catholique a besoin d’une histoire officielle, solide, et puissante pour contrecarrer
les assauts des autres nations d’Europe. Il s’agit de défendre l’honneur de la
nation (la réputation) mis à mal par les puissances européennes (y compris
depuis Ramusio qui selon Herrera empoisonne le lecteur de son venin anti-conquérants).
Il y a donc deux veines confluentes dont l’iconographie de De Bry est à chaque
fois le véhicule efficient. D’un côté l’attaque frontale des conquérants et de
l’Espagne et de l’autre l’œuvre d’un Italien catholique qui fait les louanges
de Colomb, et le désolidarise de l’ensemble des conquérants, un Colomb italien
intelligent, (l’œuf de Colomb) et même gaussé par les Espagnols. Au même titre que
Ramusio, Benzoni raccorde l’entreprise de Colomb au
prestige de l’Italie et distille également ce venin antiespagnol.
C’est donc une double stratégie
défensive qu’opère Herrera en faisant d’une part le point sur ce qu’est la
réputation (et c’est bien l’objectif principal de son œuvre) dont l’entreprise
de Colomb a posé la première pierre, et d’autre part en faisant dans un
chapitre complet le portrait d’un Christophe Colomb complètement
« hispanisé » quasiment irréprochable, comme nous allons le voir.
Tous (Miggrode/de
Bry et Herrera) utilisent Las Casas qui devient une pièce motrice dans cette
mécanique des guerres de communication qui se livre en Europe. Si le texte lascasien est une matière inflammable au service de la
légende noire et des ennemis de l’Espagne, il est aussi la plus ardente et la
plus documentée défense de Colomb, largement utilisée par Herrera, chroniqueur
officiel de la monarchie catholique, lequel se livre ainsi à une opération de
déminage. La geste de Colomb est à verser à la gloire
et à la réputation de l’Espagne. C’est là l’objectif majeur du chroniqueur
explicite dès les premières pages lorsqu’il stigmatise ceux qui ont cherché à
ternir la réputation de l’Espagne :
porque (como en ella se verá) por mucho que
algunos Escritores, contra la neutralidad que requiere la Historia, habían
procurado oscurecer la Piedad, Valor, y mucha Constancia de ánimo, que la
Nación Castellana ha mostrado en el Descubrimiento, Pacificación, y Población
de tantas y tan nuevas Tierras, interpretando a crueldad sus hechos, para
oscurecerlos, haciendo más caso de lo malo, que algunos hicieron, sin
atribuirlo a la Divina permisión por los pecados enormes de aquellas gentes,
que de lo bueno que muchos obraron, para estimarlo.[75]
Saint Lu a étudié les cas flagrants
de violences des conquérants d’abord dénoncés par Montesinos
puis par Las Casas, les «terribles estragos»
dans le Darién et les massacres commis dans les îles : à chaque fois
l’historien souligne les «gommages» opérés par Herrera des critiques les plus
virulentes du dominicain. Rien que de très attendu. Mais l’affaire Colomb est
un peu plus complexe. Certes Las Casas tient à faire de Colomb une figure de
proue de la christianisation du Nouveau Monde, recopiant le journal du
découvreur il exalte sa vision d’un Indien pré édénique et le défend contre
toutes les attaques dont il fut l’objet. On a vu que Herrera reprenait le plus
souvent à son compte cette défense du découvreur et ses arguments de façon
parfois littérale. Il y a donc cohérence entre la vision de Las Casas de Colomb
(christum ferens
celui qui porte le Christ) et le projet historiographique de Herrera. Rien que
de très attendu là encore.
Mais Herrera fait plus. Le portrait
qu’il dresse de Christophe Colomb en guise d’oraison funèbre semble dépasser en
puissance de feu celui de son transcripteur dévoué, il en est même exactement
aux antipodes. Or, Herrera n’invente pas ce portrait, il reprend presque mot
pour mot celui que Las Casas dresse de l’Almirante
dès l’ouverture de la Historia de las Indias (chapitre 2).[76]
Sous la plume de Las Casas, ce portrait tout en louanges et en manifestations
de piété inaugurait l’histoire de la découverte du Nouveau Monde par Colomb.
Sous la plume de Herrera, il va servir de conclusion à la
geste du découvreur. Le dominicain ne manque pas de rédiger un deuxième
portrait à titre d’oraison funèbre, un portrait assez éloigné du premier. Ce
sont donc ces deux portraits que nous souhaitons mettre en regard. Herrera en
choisissant d’intégrer le premier portrait de Colomb, choisit aussi d’éliminer
toutes les critiques que Las Casas, avec une grande clairvoyance politique,
fait au découvreur dans le portrait final, lorsque ce dernier
capture des Indiens, organise leur esclavage ou décide de s’installer et
de fonder une colonie dans l’embouchure du fleuve Belen et fait prisonnier le
chef indigène local et toute sa famille. À l’inverse, le portrait que reprend à
son compte Herrera est tout à la gloire de Colomb de façon inconditionnelle.
Aucun portrait des historiens du temps n’atteint cette grandeur sublime
inspirée par la providence divine. Herrera dessine un théâtre de la vertu où
Colomb n’est que piété, abnégation, courage et humilité. Rien dans ce portrait
n’est dit sur les hauts faits (les conquêtes seront faites par d’autres, les
héros, les guerriers). Herrera suit pas à pas les marques d’un portrait
christique que Las Casas avait projeté de façon inaugurale. Colomb est celui
qui fonde l’entreprise des Indes en réputation c’est à dire en grandeur morale
par la puissance de sa foi et son désir de la propager (Christo ferens). On comprend ce qui se joue: pour Herrera il
importe de sceller l’image de Colomb au profit de la seule monarchie
catholique.
Texte de Herrera (livre VI, chap. 15)[77] Fue D. Christoval
Colón alto-de cuerpo, el rostro luengo
y autorizado, la nariz aguileña, los ojos garzos, la color blanca, que
tiraba á rojo encendido: la barba y cabellos, cuando era mozo rubios, puesto que muy presto, con los
trabajos, se le tornaron canos : y era gracioso , y alegre, bien hablado y
elocuente; era grave con moderación, con los extraños afable, con los de su
casa suave, y placentero, con moderada gravedad , y discreta conversación, y
así, provocaba fácilmente a los que le veían a su amor : representaba presencia
y aspecto de venerable persona, y de gran estado , y autoridad , y digna de
toda reverencia : era sobrio , y moderado en el comer, y beber, vestir , y
calzar : solía comúnmente decir, hablando con alegría en familiar habla, o
indignado, cuando reprehendía , o se enojaba con alguno: ¿Do vos a Dios, no
os parece esto y esto ? o ¿ por qué hicisteis esto o esto? Supo mucha
Astrología, y fue mui perito en la Navegación, supo latín e hizo Versos. En las cosas de la Religión Cristiana, fue
muy Católico, y de mucha devoción, y casi en cada cosa que decía, o hacía,
siempre anteponía: En el Nombre de ¡a Santísima Trinidad haré esto”: en
cualquiera Carta o cosa que escribía, ponía en la cabeza: Jesús Cruz y María fit nobis in vía;
su juramento era, algunas veces “Juro a S. Fernando”. Cuando con juramento
quería alguna cosa afirmar en sus cartas, espacialmente a los Reyes, decía:
Hago juramento que es verdad esto. Ayunaba los ayunos de la observantísimamente: confesaba muchas veces y comulgaba:
rezaba todas las Horas Canónicas: era inimicísimo de blasfemias y juramentos,
devotísimo de Nuestra Señora y del Bienaventurado San Francisco: pareció ser
muy agradecido a Dios, por los beneficios recibidos, por lo cual, casi por
Proverbio, cada hora traía que le había hecho Dios grandes mercedes, como a
David. Cuando le llevaban algún oro o cosas
preciosas, en su oratorio, de rodillas, daba gracias a Dios porque de
descubrir tantos bienes le hacía digno. Era muy celoso de la honra de Dios y
muy deseoso de la conversión de los Indios y que por todas partes se sembrase
y ampliase la Fe de Jesucristo, y singularmente aficionado y devoto de que
Dios le hiciese digno de que pudiese ayudar en algo para ganar el Santo
Sepulcro. Y con esta devoción y la confianza que tuvo de que Dios le había de
guiar en el descubrimiento de este orbe que prometía, suplicó a la serenísima
reina Doña Isabel que hiciese voto de gastar todas las riquezas que por su
descubrimiento para los reyes resultase, en ganar la Tierra y Casa Santa de
Jerusalén. Fue varón de grande ánimo, esforzado, y de
altos pensamientos ; inclinado particularmente a lo que se puede colegir de
su vida, hechos, escrituras ,y conversación, y a acometer hechos egregios y
señalados, paciente , y muy sufrido , perdonador de las injurias, y que no
quería otra cosa ,según de él se cuenta , sino que conociesen los que le
ofendían sus errores y se le reconciliasen los delincuentes: constantísimo y
adornado de longanimidad en los trabajos y adversidades , que le ocurrieron
siempre, teniendo gran confianza de la
Providencia Divina y entrañable fidelidad, y grandísima devoción siempre a
los Reyes, y en especial a la Reina Católica; y si él alcanzara el tiempo de
los Antiguos, por el admirable empresa de haber descubierto el Nuevo Mundo , demás de los Templos y Estatuas que le hicieran, le
dedicaran alguna Estrella en los Signos Celestes, como á Hércules y a Baco; y
nuestra edad se puede tener por dichosa , por haber alcanzado tan famoso
varón, cuyos loores serán celebrados por infinitos siglos. |
Texte
de Las Casas (livre II, chap 38)[78] Murió desposeido y
despojado del estado y honra que con tan inmensos é increibles
peligros, sudores y trabajos habia ganado, desposeido ignominiosamente, sin órden
de justicia, echado en grillos, encarcelado, sin oirlo
ni convencerlo, ni hacerle cargos ni recibir sus descargos, sino como si los
que lo juzgaban fuera gente sin razón, desordenada, estulta, estólida y
absurda, y más que bestiales bárbaros. Esto no fué sin
juicio y beneplácito divino, el cual juzga y pondera las obras y fines de los
hombres, y así los méritos y deméritos de cada uno, por reglas muy delgadas,
de donde nace que lo que nosotros loamos él desloa, y lo que vituperamos
alaba; quien bien quisiere advertir é considerar lo que la historia, con
verdad, hasta aquí ha contado de los agravios, guerras é
injusticias, captiverios y opresiones, despojos de
señoríos y estados y tierras, y privación de propia y natural libertad, y de
infinitas vidas que á Reyes y á señores naturales, y á
chicos y á grandes, en esta isla, y también en
Veragua, hizo y consintió hacer absurda y desordenadamente el Almirante[79],
no teniendo jurisdicción alguna sobre ellos, ni alguna justa causa, ántes siendo él súbdito dellos
por estar en sus tierras, reinos y señoríos, donde tenían jurisdicción
natural, y la usaban y administraban, no con mucha dificultad, ni áun con demasiada temeridad, podrá sentir que todos estos
infortunios y adversidades, angustias y penalidades fueron, de aquellas
culpas, el pago y castigo. Porque, ¿quién puede pensar que cayese tan
gran señal, y obra de ingratitud en tan reales y cristianísimos ánimos como
eran los de los Reyes católicos, que a un tan nuevo y tan
señalado, y singular y único servicio, no tal otro hecho a Rey alguno
en el mundo, fuesen ingratos, y de las palabras y promesas reales, hechas y
afirmadas muchas veces por dicho y por escripto,
faltos? No es, cierto, creíble, que no cumplirle sus privilegios y mercedes
por ellos debidamente prometidas y concedidas por sus tan señalados
servicios, por falta de los Reyes quedase, sino solamente por la divina
voluntad, que determinó, que de cosa dello en esta
vida no gozase, y así, no movía á los Reyes que lo
galardonasen, ántes los impidió, sin los Reyes
incurrir en mácula de ingratitud, y sin otro defecto que fuese pecado; de la
manera que, sin culpa de los mismos Reyes, y sin su voluntad y mandado, el
comendador Bobadilla, ó por ignorancia ó por malicia, violando la orden del derecho y justicia,
permitió que lo prendiese, aprisionase, despojase de la dignidad y estado, y
hacienda que poseía y al cabo desterrase á él y á sus hermanos. Y lo que más se debe notar es, que no paró
en él ni en ellos la penalidad, sino que ha comprendido hasta la tercera
generación en sus sucesores, en que está hoy, como, si place a Dios, por la
historia será declarado. Estos son los juicios altísimos y
secretísimos de Dios, de los nuestros muy distantes; y por esto será cordura,
para el dia postrimero, donde todo en breve se
discutirá y será claro á todo el orbe, reservallo. A la bondad y misericordia de Dios plega de contentarse, rescibiendo
por satisfacción de las culpas que en estas tierras que descubrió contrajo,
las tribulaciones, angustias y amarguras, con los peligros, trabajos y
sudores, que toda su vida padeció, porque en la otra vida le haya concedido
perpetuo descanso. Ninguno, cierto, de los que sus cosas supimos y supieron,
pudo negar que no tuviese buena y simple intención, y a los Reyes fidelidad,
y esta fue tan demasiada, que, por servirlos, él mismo confesó con juramento
en una carta que les escribió de Cáliz, cuando estaba para se partir para el postrer viaje, que había puesto más
diligencia para los servir, que para ganar el Paraíso, y así parece que, por
permisión de Dios, que le dieron el pago; y tengo yo por cierto, que aqueste demasiado cuidado de querer servir los Reyes, y
con oro y riquezas querer agradallos, y también la
mucha ignorancia que tuvo, fue la potísima causa de haber en todo lo que hizo
contra estas gentes errado; aunque en los que aconsejaron por aquellos
tiempos á los Reyes, como ya queda dicho, fué mucho más culpable. Es aquí de saber, que el Almirante murió tambien con otra ignorancia, y esta fué,
que tuvo por cierto que esta isla Española era la tierra de donde á Salomon se traia el oro para el
templo que la Sagrada Escriptura llama Ofir ó Társis; pero en esto es manifiesto haberse engañado,
porque en esta isla nunca hobo tan gran copia de oro como de allí se llevaba,
y también, porque con el oro llevaban pavones y marfil, que son dientes de
elefantes, lo que nunca por este orbe indiano nuestro se vido
ni halló, mas se cree haber sido la gran isla Taprobana, de donde aquellas cosas preciosas se llevaron
a Jerusalén. También dijo, que estas islas y tierra firme
estaban al fin de Oriente y comienzo de Asia; bien creo yo que, sino hallara
atravesada esta nuestra tierra firme, que llegara o pretendiera navegar y
llegar al fin de Oriente, y principio de Asia, que es la China, o Malucos o otras tierras por allí, a donde agora
navegan los portugueses, y para esto, bien le quedaban por navegar más de
otras 2.000 leguas para llegar a donde es el fin de Oriente y principio de
Asia, como él decía ser estas islas y tierra firme. Murió también ántes
que supiese que la isla de Cuba fuese isla, porque como anduvo mucho por
ella, y áun no llegó á
pasar de la mitad, por las grandes tormentas que padesció
por la costa della, y de allí se tornó a esta isla,
y de camino descubrió a la de Jamaica, como en el libro primero dijimos,
siempre creyó que Cuba era punta o cabo de tierra firme; y para en aquellos
tiempos, que parecía que de la obscuridad del Océano pasada el mundo se
abría, no fué maravilla. |
Las Casas tente de réduire une contradiction majeure : Colomb est
à la fois le découvreur mais aussi le
colonisateur qui a exercé des violences à l’égard des indigènes, en
contradiction totale avec les principes lascasiens du
droit des gens. Ainsi lors du 4e voyage Colomb a accepté que
les Espagnols occupent et s’installent illégitimement dans le Veragua : «consintió
hacer absurda y desordenadamente el Almirante».
Face à cette injonction contradictoire (apologie et blâme), Las Casas évoque la
mort de Colomb dépouillé et dépossédé de l’honneur et de l’état qu’il avait
gagnés, dans la misère, le dénuement, victime de l’ingratitude des rois et de
la suppression de ses privilèges en dépit de ses singuliers services. «Murió desposeído y despojado del
estado y honra que con tan inmensos é increíbles peligros, sudores y trabajos
había ganado, desposeído ignominiosamente»: le dominicain y voit
une punition divine, un effet
de la volonté de Dieu qui
en a décidé ainsi ce qui
explique l’ingratitude royale
«que determinó que de cosa dello en esta vida no gozase, y así, no movía a los Reyes
que lo galardonasen». Aucun reproche ne peut donc être fait aux Rois.
Pire encore : le châtiment ne s’arrête pas à Christophe Colomb mais touche
ses successeurs jusqu’à la 3e génération.
L’autre axe de ce portrait tout en demi-teintes est l’ignorance
géographique de Colomb (ce que las Casas appelle son autre ignorance) : il
s’est trompé sur l’identité de Cuba qu’il croyait être l’île d’où Salomon
rapporta l’or pour son temple ; il s’est trompé en pensant que les îles et
la terre ferme étaient la partie extrême de l’orient ou le commencement de
l’Asie. Las Casas constate qu’il mourut
sans savoir que Cuba était
une île et souligne cette ignorance pardonnable en conclusion dans une phrase magnifique:
«siempre creyó que Cuba era punta o cabo de tierra firme; y para en aquellos
tiempos, que parecía que de la obscuridad del Océano pasada el mundo se abría,
no fué maravilla».[80]
On est bien loin du portrait de Herrera qui dépeint un homme proche de
la sainteté, qui se définit par son degré extrême de piété, sa dévotion en
toutes circonstances, sa sagesse et sa modération. Rien sur la géographie et les terres découvertes, rien sur cette
ouverture du monde, à peine effleure-t-il le talent du navigateur, rien sur ses
titres et leur lente mutilation : rien d’autre que l’évocation d’un homme
qui telle une étoile éclaire la réputation de l’Espagne, un modèle édifiant.
Herrera procède à une dissolution de l’histoire au profit d’une inscription «céleste» que l’on doit célébrer pour des siècles et des
siècles. Ce portrait de type hagiographique ne traite pas d’actions, Acta
ou Res gestae mais de
vertus chrétiennes. Il semble que le portrait de Colomb s’exorbite en une fonction épiphanique.
C’est bien le sens qu’il faut donner au
premier regard posé sur les Îles par Colomb. Herrera puise chez Las Casas et
Hernando Colomb la mise en scène de la révélation et son discours annonciateur « de
la bonne nouvelle ». L’amiral s’installe pour veiller à la poupe du bateau
et voit le premier une lumière dans la nuit tropicale «vio
lumbre»[81]. Le chroniqueur
reprend presque verbatim les termes d’Hernando
«vio la luz en medio de las tinieblas entendiendo espiritual que se introducía
entre aquellos bárbaros».[82]
Mais il ne s’arrête
pas à cet emprunt et ajoute
« Permitiendo Dios que acabada la guerra con los moros, después de 720
años que tomaron pie en España, se comenzase esta obra para que los reyes de
Castilla y de León anduviesen siempre ocupados en traer a los infieles a la
santa fe católica».[83]
Herrera remodèle une citation
de Gómara dans le proemio a Carlos quinto :
«Quiso Dios descobrir las Indias en vuestro tiempo y
a vuestros vasallos, para que las convertiésedes a su
santa ley, como dicen muchos hombres sabios y cristianos. Comenzaron las
conquistas de indios acabada la de moros, porque siempre guerreasen españoles
contra infieles».[84]
Par cette prolepse providentialiste, Dieu est
aux cotés de l’Espagne et de Colomb qu’il investit de cette mission sainte et
guerrière dans une vision téléologique de l’histoire. La figure de Colomb est
travaillée de façon complexe et subtile, dans laquelle Herrera use habilement
du texte de Las Casas. Il ne procède pas à une censure brutale ni à un montage
grossier, il y a constamment dans le texte place pour des replis, des doutes et
certains désaveux, comme ses critiques des gouverneurs de la Hispaniola. Grâce à
un savant découpage et une habile recomposition Herrera va ramener dans la
maison commune de la monarchie catholique et le dominicain intransigeant et
belliqueux et le navigateur génois qu’il va ravir aux ennemis de l’Espagne qui
s’en étaient indument emparés. «Piedad,
Valor, Constancia de ánimo » c’est bien là ce que Colomb doit incarner et
c’est bien ainsi que se fonde la réputation de l’Espagne et la conscience du
Roi.
Loin d’être un plagiaire, Herrera est un
esprit en marche qui capte, tisse, agence plusieurs types de sources, même les
plus périlleuses pour les mettre en cohérence dans un concordisme impérial
d’une indiscutable efficacité.
Louise Bénat-Tachot
Sorbonne Université
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[1] Colón (1986: 32).
[2] Les quatre premières Décadas ont
été imprimées en 1615. Elles embrassent une période de 62 années qui va de 1492
à 1554. Nous utiliserons l’édition hélas très fautive de Mariano Cuesta
Domingo: Antonio de Herrera y Tordesillas, Historia general de los hechos de
los castellanos en las islas y tierra firme del mar océano, edición M.
Cuesta Domingo, Madrid: Universidad complutense de Madrid, 1991, t. 1.
[3] Il s’agit du taret (teredinidae): un
mollusque qui dévore le bois et appelé par dérision «broma» par les Espagnols.
Colomb commente ainsi les dégâts dans le 4e voyage : «les
navires plus percés par les tarets que ne le sont les rayons de miel, et les
hommes au comble de l’abattement et du désespoir».
[4] Les lettres manuscrites de Colomb ont été perdues, ainsi le
journal de bord par exemple pour le 1er et le 3e voyage
proviennent de Fray Bartolomé de las Casas (copies effectuées par le
dominicain, in Varela, 1986, Introducción p. 9-34). S’agissant du 4e
voyage, c’est Hernando Colomb, son fils, et qui a fait partie de l’expédition
qui constitue une source majeure dans la biographie rédigée entre 1537 et 1539,
Historia del Almirante, Madrid, Dastin, edición de Luis Arranz Márquez,
2000.
[5] Il aurait ainsi enterré la chronique de
Cervantes de Salazar pour relater la conquête du Mexique selon Bosch García et
José Torre Revello, “Biografía de Antonio de Herrera y Tordesilla, Cronista
Mayor de Indias”, http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/cronistas-coloniales-segunda-parte--0/html/
00011b3c-82b2-11df-acc7-002185ce6064_8.html.: «Herrera dio una interpretación
errada a ciertos documentos, y al extractar otros, incurrió en inexactitudes y
hasta en contradicciones, agregando datos de los historiógrafos que le
precedieron, sin cuidarse de averiguar si eran exactos».
[6] Pour le sens politique de l’écriture de
l’histoire chez Hererra voir Martínez Martínez (2014).
[7] Saint-Lu
(1988: 365-377, n. 3).
[8] Saint-Lu (1988: n.
4).
[9] Fornari, un noble de Gênes, traduisit le texte qui fut édité à
Venise en 1571. Hernando Colomb fut l’acteur principal des procès de sa famille
dont la partie la plus importante se déroula entre 1508 et 1536. Il constitue
une source en particulier pour le 4e voyage car l’Amiral, outre son
frère Bartolomé, avait embarqué son jeune fils Hernando qui à l’époque a 13ans.
À la mort de don Hernando (1539), l’énorme bibliothèque de ce deuxième fils
passa au convent de San Pablo (1544 jusqu’en 1552) et c’est là que Las Casas a
pu la consulter à loisir lors de ses séjours sévillans par exemple de février à
juillet 1544.Enfin le dominicain disposait non seulement d’une copie des procès
avec la Couronne, mais aussi de tout un arsenal de données pour écrire la vie
de Christophe: il avait la lettre et la carte de Toscanelli, plusieurs copies
de papiers de l’Almirante et sans doute a-t-il eu entre les mains l’exemplaire
de la Imago mundi de P. d’Ailly (aujourd’hui dans la Biblioteca
Colombina de Sevilla).Grâce à une copie autographe de Las Casas, on conserve le
résumé des Diarios des 1er et 3e voyages.
[10] Saint-Lu (1988: 366).
[11] Saint-Lu (1988: 365).
[12] Non sans un bon sens assez ironique, Pedro
Mártir commente dans ce sens le soulagement de l’équipage et l’interprétation
édénique qu’en fait Colomb «que aquella tierra estaba más próxima al cielo que
las demás regiones de aquel paralelo», Mártir (1989: 56).
[13] La vitesse du courant
dans le golfe varie beaucoup avec de fortes marées donc la quantité d’eau en
provenance de l’Orénoque et des autres fleuves qui se déversent dans le golfe
produit une baisse significative de la salinité de l’eau et le développement d’importantes
mangroves.
[14] Colón (1986: 233).
[15] Colón (1986: 240).
[16]
La particularité de l’étoile polaire est de se situer quasiment dans le
prolongement de l’axe des pôles (d’où son nom), c’est-à-dire de l’axe de
rotation de la Terre. Elle est donc pratiquement dénuée de mouvement. En
revanche dans l’hémisphère sud il n’y a pas d’étoile polaire. Le pôle céleste
Sud, visible depuis l’hémisphère austral, réside dans une constellation moderne
assez terne, l’Octant (polaris
australis) à peine visible donc peu utile à la navigation. C’est la
croix du sud (constellation remarquée en premier dans l’hémisphère sud) qui est
repérable car elle est entourée sur trois côtés par le
Centaure, et deux des étoiles de cette constellation sont utiles pour trouver le pôle sud céleste.
[17] Colón (1986: 242).
[18] Sur l’étude du Paradis Terrestre voir
l’excellent ouvrage de Scafi (2013).
[19] Colón (1986: 237).
[20] Colón (1986: 238).
[21] «Juzgaba que la mar iba subiendo, y los navíos alzándose hacia el
cielo suavemente», Las Casas (1994: 1078).
[22] Mártir (1989:
60).
[23] Mártir (2003: 153).
[24] López de Gómara (2021: 209).
[25] Las Casas (1994: 1059-1106), soit une
cinquantaine de pages.
[26] «The
general tendency of exegisis was to admit that Eden was no longer part of the
present world and that Paradise had now disappeared”, Scafi (2013: 254).
[27] Herrera (1991: 365).
[28] Herrera (1991: 368).
[29] Herrera (1991: 370).
[30] Herrera (1991 : 370).
[31] Herrera (1991 : 369).
[32] Herrera (1991 : 370).
[33] Les verbes utilisés par Las Casas pour
détailler l’argumentaire de Colomb relèvent à la fois de l’intelligence, de
l’observation et des autorités («persuadir»/«xoncebir»/«razones»/«harto probable»/«muy
urgentes razones»/«considerar») il est donc logique et sage à la fois de
soupçonner (et non d’imaginer) une telle localisation.
[34] «Ciertamente
para estar este mundo destas Indias tan oculto y ser tan reciente su
descubrimiento y ver las cosas tan nuevas que veía, no es de maravillar que el
almirante tanta y de tan diversas y nuevas cosas, sospecha, imaginaciones y
sentencia nueva tuviese», Las
Casas (1994 : 1079).
[35] Herrera (1991: 370).
[36] Citons quelques
exemples «Reino de Pego» (sans doute un toponyme taino) fait référence à une
province d’Asie riche en rubis selon Marco Polo, «Faba» (30 oct.) version
déformée pour Bafan nom d’une province du grand khan selon Marco Polo, «Cabo de
oriente» (Cabo de cuba) ou «alpha» et «omega» (début et fin de la terre
l’extrémité de l’Asie), la province de «Ciguare» sous le gouvernement du grand khan(Cyguare) à 10 journées du
Gange, «Tierra de Magon» reprend le toponyme asiatique de la province Mango, «Cibao»
pour Cipango (qui fera long feu dans la cartographie) «Ciamba» (pour désigner
la Cochinchine chez Marco Polo).
[37] Viernes 19 de octubre, Colón (1986: 75).
[38] Jueves 6 de diciembre, Colón (1986: 118).
[39] Colón, H. (2000: 132; 170).
[40]. Colón, H. (2000: 179; 181).
[41] Colón, H. (2000: 124).
[42] “Informe y juramento de como Cuba era Tierra
firme” (documento XII), Colón (1984), Cartas particulares Consuelo
Varela y Juan Gil, Madrid Alianza editorial, 1984. Un document bien connu
conservé à l’Archivo General de Indias (Patronato 8, ramo 11) daté du 12 juin
1494 détaille le serment exigé par l’Almirante, à bord de la Niña, des
équipages des trois bateaux de l’expédition. Sous peine de sévères punitions,
Colomb fit jurer aux marins, mousses, pilotes, contre maîtres et maitres et de
toutes les personnes à leur service à bord, que les côtes qu’ils venaient de
parcourir n’étaient pas celles d’une île (Cuba en l’occurrence) mais du
continent asiatique.
[43] Colón (1986: 185).
[44] Colón (1986: 282).
[45] Il obtient ces
informations à la hauteur du cap du Honduras, d’un vieil Indien prélevé d’une
embarcation yucatèque de 25 hommes.
[46] Colón (1986: 282).
[47] Colón
(1986: 292-93). «Hierusalem y el monte de Sion ha de ser reedificado por mano de
cristiano».
[48] Nous parlons de la lettre écrite aux Rois un
mois après s’être échoué en Jamaïque, appelée lettera rarissima, connue
à partir d’une copie tardive dont se servit un traducteur italien (1505) et
publiée à Venise. Cette lettre ne parvint jamais aux Rois et se retrouva dans
la bibliothèque de don Hernando.
[49] Colón (1986: 283, 292).
[50] Colón (1986: 285).
[51] Colón (1986: 286).
[52] Colón
(1986: 286).
[53] Las Casas (1994: 1379).
[54] Herrera (1991: 429).
[55] Herrera (1991: 430).
[56] On sait qu’ils furent les adversaires
farouches des Colomb lors des procès, lorsque le fiscal Villalobos décida de
démontrer grâce à leurs témoignages que Colomb n’avait pas été le premier à
découvrir les îles et que sans les Pinzón, Colomb aurait fait demi-tour.
[57] Las Casas (1994: 3, 661).
[58] Las Casas est tout aussi véhément : les rebelles menés
par Roldán menaient une vie abominable impure et tyrannique, ayant chacun
toutes les femmes qu’il voulait, exactions et violences inutiles, tuant et
poignardant facilement. Las Casas (1994 : 1109 &sq).
[59] Herrera (1991: 355, 356).
[60] Herrera (1991: 358)
[61] Herrera (1991: tome 1, 408).
[62] Là encore reprise de Las Casas : celui qui lui mit les fers
fut«un concinero suyo desconoscido y desvergonzado, el cual con tan deslavada
frente se los echó con si le sirviera con algunos platos de nuevos y preciosos
manjares», Las Casas (1994: 1262).
[63] Herrera (1991 : 459).
[64] Herrera (1991: 460).
[65] Colón H (2000: 324).
[66] Herrera (1991: 460).
[67] Herrera (1991: 469 & sq.).
[68] Herrera (1991: 471).
[69] Herrera (1991: 471). Herrera reprend ici le
texte de Las Casas.
[70] Herrera (1991: 471).
[71] Dans le chapitre suivant on
lit la synthèse de toutes les démarches et suppliques de Colomb et de Diego son
fils auprès de Ferdinand peu disposé à les écouter. «cuantas mas
peticiones daban al rey tanto mejor respondía y se lo dilataba». Ferdinand
cherche à le faire renoncer à ses privilèges: «para que hiciese renunciación de
los privilegios». Herrera sur ce point est d’un laconisme et d’une prudence
politique très habiles.
[72] Herrera (1991: 310).
[73] Du côté catholique Le Theatrum
Crudelitatum Haereticorum nostri temporis de Richard Verstegan (Anvers, 1587)
a connu plusieurs rééditions, ainsi qu’une publication en français.
[74] L’auteur milanais avait accompli, un vaste
travail de compilation nourri principalement des écrits de Francisco López de
Gómara et du dominicain Bartolomé de Las Casas. Traducteur de cette
compilation, qui raconte successivement les découvertes de Colomb et Magellan
et la conquête du Pérou, Urbain Chauveton ajoute ses propres commentaires.
[75] Herrera (1991: 257).
[76] Las Casas (1994, 1, 360).
[77] Herrera (1991: 476-477).
[78] Las Casas (1994: 1444-1446).
[79] Las casas fait ici allusion en particulier à ce qu’il développe
dans le chap. 150 où il transcrit la lettre de Colomb aux Rois de 1496 où il
expose de quelle façon la traite des Indiens et le bois de brésil constitueront
des rentes substantielles pour la couronne ; les esclaves peuvent être
vendus à 1 500 maravédis pièce, bien qu’ils meurent en grand nombre, il
n’en sera pas toujours ainsi ; c’était le même chose au début avec les Noirs
et les Canarien » !!!: Las Casas commente cet aveuglement sans
scrupule d’une grande et stupide insensibilité :Las Casas pense que Christophe
Colomb a été contaminé par les Portugais dans leur négoce : la divine
providence résolut par une autre voie et d’une autre façon d’ôter cette affaire
des mains de l’amiral ; c’est ce qui revient dans le portrait qu’il dresse
à titre d’oraison funèbre. Rien de tout cela n’apparaît chez Herrera.
[80] Las Casas (1994 : 1446).
[81] «a dos horas antes de media noche, estando
don Cristóbal En el castillo de popa, vio lumbre», Herrera (1991: 283).
[82] Colón H. (2000: 110). Selon Las Casas Colomb
est le premier à voir cette lumière «en figura de la espiritual que por sus
sudores había Cristo de infundir a aquestas gentes que vivían e tan profundas
tinieblas», Las Casas (1994: t. 3, 550).
[83] Herrera (1991: 283).
[84] López de Gómara (2021: 69).